Accord entre l'État et Engie: "J'ai beaucoup de doutes qu'on puisse en terminer avec le nucléaire dans 10 ans"
Francesco Contino, spécialiste de l'énergie (UCLouvain), analyse l'accord entre Engie et L'État belge présenté lundi. Il cerne trois éléments importants.
L'accord sur le nucléaire attendu pour la fin 2022 est donc tombé ce 9 janvier. Ce qui a été annoncé ce lundi reste entouré de plusieurs zones d'ombres, notamment concernant l'enfouissement des déchets radioactifs. Il reste du travail, c'est clair.
Francesco Contino, spécialiste du secteur de l'énergie, professeur à l'UCLouvain, retient néanmoins surtout que cet accord apporte des réponses à trois points particulièrement importants.
"Il va maintenant falloir éviter tout blocage politique, parce que le moindre grain de sable pourrait tout enrayer."
Une épée de Damoclès au-dessus d'Engie
"L'obligation de moyens qu'Engie doit mettre en œuvre pour que les centrales tournent lors des hivers 2026 et 2027, c'est vraiment énorme! C'est un bâton – une épée! – qui pend au-dessus d'Engie si celui-ci ne fait pas tout pour que ça fonctionne. Mais c'est aussi une gageure, parce qu'il faudra que tout le monde soit de bonne volonté. Il va maintenant falloir éviter tout blocage politique, parce que le moindre grain de sable pourrait tout enrayer. Or, on n'a plus le temps pour retarder le moindre délai."
Pour rappel, Engie estimait qu'il lui faudrait cinq ans pour assurer la continuité du fonctionnement de deux réacteurs. Il en aura moins de quatre.
"Si l'État a un intérêt direct à ce que tout fonctionne, il ne risque pas de jouer au cow-boy!"
Ces dernières années, Engie a été confronté à un État belge qui a changé d'avis plusieurs fois. "Dans ce contexte, estime Francesco Contino, il y a un acquis majeur pour Engie: la structure conjointe pour gérer la centrale. Cela limitera l'incertitude, parce que si l'État a un intérêt direct à ce que tout fonctionne, il ne risque pas de jouer au cow-boy! Cela va aussi permettre d'accélérer certaines démarches, administratives par exemple."
Un plafond intelligent
Le troisième point de réussite de cet accord que relève l'expert de l'UCLouvain porte sur le prix de gestion des déchets. "Il n'était pas possible, pour Engie, que l'État ait le contrôle de la règle et la maîtrise du prix, qui ne fait qu'augmenter. Cela pouvait lui coûter très cher." À défaut d'avoir défini un prix, les deux parties sont tombées d'accord sur le principe du plafond, un "cap" au-delà duquel l'État passera lui-même à la caisse.
Francesco Contino souligne l'intérêt de la formule choisie: "Engie essayait depuis longtemps de contourner le principe et a réussi à imposer ce cap. Mais l'État a été malin, puisqu'il se montre d'accord sur le principe, mais en empêchant qu'Engie ne joue avec ses pieds: si les centrales ne fonctionnent pas lors des hivers 2026 et 2027, le système du cap sur le prix de gestion des déchets tombera à l'eau."
"La pression va être énorme, et on va se reposer les mêmes questions dans 10 ans."
Au final, Engie n'aura donc que quatre petites années pour mener à bien les travaux et les études nécessaires au fonctionnement de Doel 4 et Tihange 3. "C'est faisable, estime Francesco Contino, mais il y aura deux grandes difficultés." Le premier écueil est d'ordre logistique: il va falloir du matériel. Le second porte sur les ressources humaines. Où trouver le personnel pour un secteur dont on avait annoncé la disparition? Sans doute à l'étranger.
Un succès, mais...
L'expert en énergie de l'UCLouvain estime que l'accord décroché est de bon augure. "Le Premier ministre a vraiment été très fort. Faire ravaler aux verts la fin définitive du nucléaire, ce n'était vraiment pas gagné!" Mais Francesco Contino s'inquiète davantage pour la suite.
"On parle d'une prolongation de dix ans pour deux réacteurs, alors que certains veulent en prolonger cinq, voire sept, même si c'est trop tard. On se dit, comme toujours: 'On verra bien demain, ce sera d'autres personnes au pouvoir, deux gouvernements seront passés par là'. Or, j'ai beaucoup de doutes que l'on puisse en terminer avec le nucléaire dans dix ans. La pression va être énorme, et on va se reposer les mêmes questions dans dix ans. Mais bon, il fallait bien avancer pour obtenir cet accord..."
- Le gouvernement fédéral a conclu un accord avec Engie pour prolonger deux réacteurs nucléaires durant dix ans.
- Cet accord comporte encore plusieurs zones d'ombre.
- Francesco Contino, spécialiste de l'énergie (UCLouvain), analyse cet accord.
- Trois points importants ont été décidés, mais Engie va faire face à deux difficultés de taille.
Les plus lus
- 1 Grève générale du 20 mai: voici les perturbations à prévoir ce mardi
- 2 Le report de la réforme du chômage n'est plus un tabou
- 3 Le fast-food sain Shape&Go en faillite, son jeune fondateur carolo tire les leçons d'une trop courte aventure
- 4 Pierre Wunsch (gouverneur de la BNB): "Une baisse du taux de base en dessous de 2% pourrait être nécessaire"
- 5 Georges-Louis Bouchez (MR) face à Thierry Bodson (FGTB): un débat à couteaux tirés