Guerre froide en Arctique
La banquise arctique ne cesse de rétrécir. Cette année, sa superficie minimale (atteinte en septembre) ne représentait plus que 72% des niveaux minimums observés entre 1981 et 2010. Les scientifiques crient à la catastrophe. D’autres y voient une aubaine. Du coup, de nouvelles routes maritimes apparaissent, la recherche d’hydrocarbures s’accélère, et pour muscler le tout, de nouvelles bases militaires voient le jour.
Par Catherine Mommaerts | Fabrizio Colucci - 19/12/2018
Démarrer
Superficie minimale annuelle de la banquise en mer Arctique | Sources: National Snow et Ice Data Center (Université du Colorado).
Nouvelle route commerciale
Trajets historiques
Il existe à l’heure actuelle deux grandes voies maritimes permettant de transporter des marchandises entre l’Asie et l’Europe. La première passe par le canal de Suez , en Egypte. Du port de Shanghai à celui de Rotterdam, elle fait un peu moins de 20.000 km. La deuxième route, environ 25% plus longue, passe par le canal de Panama .
Routes historiques
25.400Km Canal de panama
19.700Km Canal de Suez
Nouvelle route commerciale
Le passage du nord-est
La fonte des glaces en Arctique permettra à terme l’ouverture de nouvelles routes maritimes reliant l’Asie à l’Europe en beaucoup moins de temps qu’il n’en faut pour l’instant. Le passage dit du nord-est peut désormais être emprunté par des navires commerciaux pendant les trois mois d’été. C’est par cette route qui longe les côtes russes, en venant du détroit de Bering, qu’est passé le Venta Maersk en septembre dernier pour rallier Vladivostok à Saint-Pétersbourg , une première pour un porte-conteneur. Le passage du nord-ouest, plus dangereux, restera plus longtemps inaccessible.
Routes historiques
25.400Km Canal de panama
19.700Km Canal de Suez
16.900Km Passage Nord-Ouest
15.100Km Passage Nord-Est
Nouvelle route commerciale
Un sacré défi
Le passage du nord-est ne remplacera pas du jour au lendemain les routes commerciales passant par le canal de Suez ou celui de Panama. Cette route n’est praticable que trois mois par an et longe sur des milliers de kilomètres des zones inhabitées de Sibérie, manquant d’infrastructures qui permettraient aux navires de régler d’éventuels problèmes techniques. L’emprunter coûte cher en assurances, en salaires (suite aux conditions de travail extrêmes) et en droits de passage prélevés par la Russie. Le recours aux brise-glaces reste également obligatoire dans bien des cas, et ça aussi, c’est cher.
Nouvelle route commerciale
La Russie au taquet
La Russie investit gros dans l’agrandissement de ses ports longeant le passage du nord-est, à commencer par celui de Mourmansk, et elle en construit de nouveaux. On apprenait fin novembre qu’elle avait remis sur les rails un méga projet de construction d’un port dans la région reculée d’Indiga. Coût de l’opération: 4 milliards de dollars . Le pays construit également de nouvelles routes terrestres et des chemins de fer reliant ses ports du grand nord au reste du pays.
Du gaz et du pétrole à foison
Un accès difficile
D’après l’agence géologique américaine, l’Arctique renfermerait 13% des réserves non découvertes de pétrole de la planète et 30% de celles de gaz . Ces richesses en hydrocarbures pourraient devenir accessibles suite à la fonte des glaces. A condition d’y mettre le prix et de pouvoir tirer des quantités suffisantes d’hydrocarbures. Tout coûte plus cher en Arctique , que ce soit l’équipement, la main-d’œuvre ou leur acheminement. Il faudra également disposer des technologies adéquates et parvenir à minimiser les risques écologiques dans un environnement particulièrement vulnérable aux marées noires.
Ressources en Arctique | En milliards de barils équivalents pétrole
Plus de 10
De 5 à 10
De 1 à 5
De 0 à 1
| Source: Wood Mackenzie
Du gaz et du pétrole à foison
Le gaz russe
Pas moins de 58% des ressources en hydrocarbures de l’Arctique se situent en zone russe (essentiellement du gaz). Viennent ensuite les Etats-Unis (18%) et le Danemark (Groenland: 12%). Le Canada et la Norvège se partagent les 12% restants. En décembre 2017, la Russie inaugurait un gigantesque site gazier dans la péninsule de Yamal. Évaluées à 27 milliards de dollars, les installations GNL ont pu être construites à l’aide de fonds chinois . En juillet 2018, un tanker russe chargé de GNL a d’ailleurs rejoint pour la première fois le port chinois de Rudong en empruntant le passage du nord-est.
Répartition des ressources en pétrole et en gaz
58% Russie
18% États-Unis
24% Danemark, Canada, Norvège.
Du gaz et du pétrole à foison
Le pétrole américain
Cela fait plusieurs décennies que les Etats-Unis produisent du pétrole onshore dans l’Alaska. Mais les ressources facilement exploitables s’y sont épuisées. L’administration Trump travaille d’arrache-pied pour permettre les activités d’exploration pétrolière dans les réserves naturelles ANWR (Alaska National Wildlife Reserve) et NPRA, ainsi qu’au large de l’Alaska. Si des grands groupes pétroliers et gaziers, comme ConocoPhillips et Shell, ont à plusieurs reprises reporté leur projets arctiques, la société texane Hilcorp Energy Company pourrait se lancer dans l’aventure dès 2019 en mer de Beaufort.
Un échiquier géopolitique
Les revendications territoriales
Les richesses arctiques (y compris minières) ont aiguisé les appétits des États de la région qui revendiquent tous l’extension de leur plateau continental au-delà de leur zone économique exclusive (200 milles marins). Ils peuvent faire une demande officielle en ce sens en vertu de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, mais uniquement s’ils l’ont ratifiée (ce que n’ont pas fait les Etats-Unis). La Russie, la Norvège et le Danemark ont déjà déposé des demandes auprès de l’ONU qui ne peut cependant se prononcer que sur la validité des données géologiques lui ayant été transmises. Au final, les Etats arctiques doivent en effet s’accorder entre eux.
Revendications territoriales
Russie
Danemark
Canada
États-Unis
| Source: Bloomberg
Un échiquier géopolitique
La suprématie militaire russe
La Russie considère l’Arctique comme son pré carré. En 2007, elle plantait même son drapeau au fond de l’océan à la verticale du pôle nord. Le geste était symbolique. Son expansion militaire dans la région l’est beaucoup moins. La Russie y dispose à elle seule de plus de bases militaires que tous les autres pays arctiques combinés . Et de nouvelles installations russes sont encore en construction. Pendant ce temps-là, les Etats-Unis continuent à creuser leur retard militaire en Arctique, même si le Pentagone s’intéresse désormais de plus près à la région.
Bases militaires en Arctique
Russie
Danemark
Canada
États-Unis
Norvège
| Source: Bloomberg
Un échiquier géopolitique
L’intrus chinois
Si les Américains ont mis du temps à comprendre l’importance stratégique de l’Arctique, les Chinois, eux, s’y intéressent de près. Ils siègent d’ailleurs au sein du Conseil arctique en tant que pays observateur . Et ils ne cachent plus leurs ambitions. En janvier 2018, la Chine annonçait ainsi vouloir développer une route de la soie polaire . Elle s’en donne petit à petit les moyens. En septembre, elle inaugurait ainsi son deuxième brise-glace, le Xue Long 2. Mais surtout, elle investit activement dans des projets portuaires et énergétiques en Arctique , essentiellement aux côtés des Russes.
Un difficile équilibre
Les rivalités entre pays riverains de l’Arctique risquent de s’intensifier au cours des prochaines années à mesure que les opportunités liées à la fonte des glaces se concrétiseront. Et l’intérêt grandissant de pays «extérieurs», comme la Chine, ne fera que compliquer la donne. Pourtant, la communauté internationale n’aura d’autre choix que d’œuvrer de concert au développement durable de l’Arctique si elle ne veut pas endommager irrémédiablement l’une des zones les plus vulnérables de la planète.
Article suivant: Centre 127bis, la réalité des chiffres
Revenir au début
Revenir à la rétro 2018