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interview

Ahmed Laaouej (PS): "Gouverner avec la N-VA à Bruxelles, ce n'est pas une option"

Ahmed Laaouej, président du PS bruxellois et bourgmestre de Koekelberg. ©Christophe De Muynck

Cela fait cinq mois qu'il est au front des négociations bruxelloises. Blocage à la région, finances dans le rouge, alliances avec le PTB... Le socialiste Ahmed Laaouej nous reçoit pour un long entretien.

Y aura-t-il bientôt un gouvernement à Bruxelles? Plus de cinq mois après les élections, cela patauge toujours. Certes, côté flamand, l'Open Vld a ouvert le jeu cette semaine, pour former une majorité avec Groen, Vooruit et, surprise... la N-VA. Ceci au terme d'une semaine marquée aussi par l'entrée en coalition du PS avec son grand rival à gauche, le PTB, à Forest.

Ce vendredi matin, nous poussons donc une pointe en direction de Koekelberg, fief d'Ahmed Laaouej, avec sur le porte-bagages une flopée de questions. Il n'a pas encore choisi où se situe son avenir. Devenir ministre bruxellois, fort de ses 25.000 voix de préférence? Ou rester bourgmestre de sa "commune de cœur"? Pour l'heure, il est maïeur. Il sort justement d'un collège communal très matinal.

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L'homme fort du PS bruxellois nous reçoit dans son bureau. Avant d'attaquer le copieux menu de l'actualité politique bruxelloise, il partage un ballotin de pralines. Sur chaque manon est imprimé une Belle fleur, tour emblématique des charbonnages. "Mon père a travaillé dans la mine à Blegny-Trembleur", confie celui qui a grandi dans la banlieue liégeoise, mais qui à 54 ans a désormais passé la plus grande partie de sa vie dans la capitale. Bruxelles, parlons-en.

La piste lancée par l'Open Vld, c'est sérieux? On avance enfin à Bruxelles?

C'est une démarche politique soutenue par quatre parlementaires sur 89 à ce stade. Et on a deux partis néerlandophones qui se distribuent des mandats (l'Open Vld et la N-VA, NDLR), et pas des moindres, sans l'adhésion des autres partis.

Mais ça se paye un tel sacrifice, non?

C'est appréciable, c'est vrai. Sauf qu'ils proposent un attelage avec la N-VA. Et cela, ça ne va pas de soi, quand on voit ce qu'elle propose pour Bruxelles dans le cadre de l'Arizona. La suppression de Beliris, cela veut dire plusieurs centaines de millions d'euros d'investissements en moins. Je rappelle que Bruxelles est le premier bassin d'emplois du pays et que les deux autres régions puisent une partie de leur prospérité et richesse ici.

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"Avoir la N-VA à bord d'un gouvernement bruxellois, ce n'est certainement pas une option sur laquelle on est prêt à travailler."

Ahmed Laaouej
PS

Mais avoir la N-VA à bord à Bruxelles n'est pas justement l'occasion de leur faire entendre raison?

La N-VA considère Bruxelles comme une sous-région qui doit être mise sous tutelle de la Flandre. Par ailleurs, on entrevoit des décisions particulièrement douloureuses pour les pouvoirs locaux, bruxellois en particulier, notamment l'exclusion des chômeurs de longue durée, avec un report des charges sur les CPAS. Nous sommes opposés à la fusion des zones de police, la N-VA en est le premier supporter... Et ainsi de suite. Donc avoir la N-VA à bord d'un gouvernement bruxellois, ce n'est certainement pas une option sur laquelle on est prêt à travailler, car c'est permettre à Bart De Wever de prolonger ses projets politiques dont on a pu voir par le passé qu'ils étaient hostiles aux Bruxellois.

Vous posez donc un veto contre la N-VA?

Va-t-on demander au PS d'accepter sans réserve de de travailler pendant cinq ans dans une coalition avec un parti qui pourrait s'avérer demain facteur de blocage ou d'orientation politique qui ne nous convienne pas? On connaît leur projet séparatiste. Donc, pour nous, une coalition avec la N-VA, c'est particulièrement difficile à envisager.

Je souhaite avant tout que Mme Van den Brandt, qui est arrivée première, vienne avec des propositions de coalition, et même de programme, sur lesquelles on pourrait travailler. Mais on a parfois l'impression, côté néerlandophone, que ce qui se passe à Bruxelles est tributaire de discussions qui ont lieu à d'autres niveaux de pouvoir, et au fédéral en particulier. Il faudrait s'interroger sur les raisons pour lesquelles l'Open Vld et la N-VA viennent avec une proposition commune.

Qu'un parti francophone exprime clairement qu'il a des difficultés avec ce qui se passe côté néerlandophone, c'est inhabituel.

Je ne vois pas pourquoi nous serions forcés d'accepter cet attelage sans rien dire. On a 16 sièges, on est le deuxième parti. On sera très certainement un pilier de la future coalition. Il est légitime de faire valoir notre appréciation de la situation.

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Cette proposition de l'Open Vld va peut-être débloquer le jeu?

Ils ont formalisé une proposition. Il est bon désormais de faire connaître les autres scénarios. Et de voir lequel rencontre la plus grande adhésion côté néerlandophone. Côté francophone, c'est clair, on est à trois.

Certains dépeignent une relation PS-MR déjà à couteaux tirés.

Il y a parfois des poussées de fièvre en politique. Mais il y a assez d'expérience autour de la table pour dépasser cela. Tout le monde savait que la temporalité des deux élections allait sans doute amener des frictions. On est passé au chapitre suivant. Bruxelles a besoin d'un gouvernement qui travaille dans l'intérêt des Bruxellois. On connaît les enjeux financiers et budgétaires. Il faut avancer.

"La situation est difficile, mais elle est surmontable. Certains dramatisent, jouent aux prophètes de malheur en disant que la région est en faillite."

Ahmed Laaouej
PS

La Cour des comptes souligne une nouvelle fois l'écart entre les recettes et les dépenses, de 31% en moyenne de 2019 à 2023. Le PS était à la manœuvre. Comment a-t-il pu laisser une telle situation s'installer?

Je ne veux pas distribuer les bons et mauvais points, mais le budget était quand même géré par un libéral. Il faut regarder vers l'avant. On sait qu'il faut une trajectoire et des efforts sérieux. Un comité de pilotage est en train de tracer un chemin. Il remettra bientôt son rapport. On va dans le détail avec chaque département. Mais faire des budgets de façon brutale, des réductions linéaires, ça n'a pas de sens. Il y a des dépenses publiques nécessaires, des dépenses d'investissement utiles pour le tissu économique et la prospérité de Bruxelles. Et puis, d'un autre côté, il y a certainement des choses à faire en matière d'efficacité ou d'économies d'échelle.

Il faut envoyer un signal de sérieux, parce que malheureusement les pouvoirs publics sont fortement tributaires de l'analyse que font les marchés financiers. Je le déplore, mais c'est comme ça. Le PS plaide pour une trajectoire longue. Entre sept et dix ans, à l'instar de la Région wallonne.

 "Il y a peut-être moyen de réorganiser, de faire mieux avec les mêmes moyens, mais sans toucher à la qualité de vie des Bruxellois", dit Amhed Laaouej, président du PS bruxellois.
"Il y a peut-être moyen de réorganiser, de faire mieux avec les mêmes moyens, mais sans toucher à la qualité de vie des Bruxellois", dit Amhed Laaouej, président du PS bruxellois.
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Les marchés financiers peuvent-ils accepter une telle trajectoire?

Pour eux, l'important est de voir les mesures sur lesquelles la trajectoire s'adosse. La situation est difficile, mais elle est surmontable. Certains dramatisent, jouent aux prophètes de malheur en disant que la région est en faillite.

Est-ce que, petit à petit, se dessinent les poches où l'on va pouvoir aller chercher de l'argent et faire des économies?

Oui. Mais pas question de faire de l'austérité et d'entraver la bonne marche des services publics. Il y a peut-être moyen de réorganiser, de faire mieux avec les mêmes moyens, mais sans toucher à la qualité de vie des Bruxellois. Et côté recettes fiscales, je suis partisan de ne pas augmenter les impôts. Par contre, on peut optimaliser. On peut améliorer la perception là où on sait que la législation rend possible l'optimalisation fiscale.

En matière de planification immobilière par exemple, il y a certainement des moyens à aller chercher. Et puis, on peut faire comme les autres régions et prendre la gestion directe de certaines taxes pour optimaliser les rendements sans augmenter les taux. La taxe sur les jeux et paris par exemple.

Pourrait-on revoir les investissements?

Question épineuse. L'objectif n'est pas de corseter les investissements. Cela amoindrirait le service au public. De la Stib, par exemple. Mais pour des investissements d'une autre nature, on peut imaginer des glissements de trajectoire.

Les alliances avec le PTB, vous y étiez favorable dès le départ?

J'ai toujours perçu le PTB comme un parti qui faisait de la politique depuis le balcon. Et puis, ils ont vu les résultats des élections en Wallonie. Ils ont vu que leur propension à taper en permanence sur les autres partis de gauche amenait la droite au pouvoir. Ils ont changé leur fusil d'épaule, et sont prêts désormais à entrer dans des majorités au niveau local. Ensuite, il y a la réalité arithmétique.

L’alliance avec le PTB vous sert maintenant, mais avez-vous pensé à l’avenir?

J’entends tout et son contraire. Ceux qui disent que cela va crédibiliser le PTB et d’autres que cela va les confronter à la réalité des choses. Ce qui me remonte du terrain, c’est qu’ils sont conscients des réalités budgétaires et donc qu’ils revoient leurs ambitions à la baisse. On est loin des grandes envolées et des grandes promesses préélectorales. Là, ils se rendent compte que gérer une commune au quotidien, ce n’est pas si évident. Ce matin, en collège, on m’a donné les chiffres de la DGC (dotation générale aux communes, NDLR). Certaines communes bruxelloises vont vraiment avoir beaucoup de difficultés, notamment celles concernées par des dynamiques avec le PTB.

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Pour le site d’Audi à Forest, ne risque-t-on pas d’envoyer un mauvais signal aux investisseurs privés ?

Je pense que les investisseurs sont des gens qui savent quelles compétences dépendent du niveau local, du régional ou du fédéral. L’impôt des sociétés, le droit des sociétés, le droit du travail, la concertation sociale etc. ne dépendent pas d’un collège communal.

Mais bien les taxes sur les bureaux, les surfaces commerciales, les parkings…

Certains en sont aujourd’hui à essayer de faire des procès en sorcellerie et développent un narratif caricatural qui ne résiste pas à l’analyse. Ça n’amuse personne de créer des climats qui seraient repoussants pour des opérateurs économiques. Et dire le contraire, c’est faire des procès d’intention.

Donc, on caricature le PTB ?

C’est surtout que le PS veillera au grain et que nous sommes un parti responsable qui sait quelle est l’importance de promouvoir le développement économique, car cela crée de l’emploi. Au contraire, ce qui menace aujourd’hui l’économie et la relance, c’est l’asphyxie sociale que nous prépare le futur gouvernement Arizona. Du côté de la droite, ce sont toujours les mêmes vieilles recettes éculées d’austérité qui conduisent à un affaiblissement du tissu économique.

"On doit pouvoir dire à Audi qu’ils font déjà assez de dégâts en fermant l’usine et que Bruxelles doit pouvoir récupérer ces terrains d’une manière ou d’une autre pour attirer des investisseurs."

Ahmed Laaouej
PS

Le public doit reprendre la main sur le terrain d’Audi?

Je pense qu’on doit pouvoir leur dire qu’ils font déjà assez de dégâts en fermant l’usine, et que Bruxelles doit pouvoir récupérer ces 500.000m² d’une manière ou d’une autre pour attirer des investisseurs avec des activités durables et des emplois de qualité. On est sur un lieu particulièrement intéressant avec des infrastructures ferroviaires, autoroutières et une proximité de l’aéroport.

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Ce sont des arguments pour qu’Audi valorise au maximum son terrain.

Les pouvoirs publics ont en main des instruments qui devraient quand même les faire venir à la table des négociations, sans arrogance et en comprenant bien que les dégâts qu’ils font doivent pouvoir trouver réparation.

Le coût de la dépollution est un levier ?

Absolument. Ça ne met pas Audi Brussels dans une situation favorable en termes de discussions. Mais je ne veux pas m’immiscer dans le travail réalisé par la task force.

Ce discours rassurant sur le PTB fait dire à certains que vous pourriez lâcher le MR à la Région.

Je ne fais pas de la politique-fiction. Ecolo veut aller dans l’opposition. Le PTB ne manifeste strictement aucune volonté d’aller dans des exécutifs régionaux ou fédéraux. Pour ces niveaux de pouvoir là, cela reste un parti qui ne prend pas ses responsabilités. Mais surtout, le bureau politique m’a donné le mandat d’avancer dans la coalition avec le MR et Les Engagés. Le PS y défendra évidemment ses priorités avec beaucoup de vigueur. J’ai pris un engagement en juillet et je le respecte.

À Molenbeek, la coalition PS-PTB n’est toujours pas concrétisée. Pourquoi?

Il y a deux choses. Le PTB a signé l’acte de présentation de Catherine Moureaux qui est en discussion maintenant sur le contenu et sur le troisième partenaire. À ce stade, il n’y a pas encore d’atterrissage. Ils y travaillent et je ne doute pas qu’ils trouveront une solution.

S’allier avec Fouad Ahidar est possible malgré l’exclusive de Paul Magnette ?

Nous sommes un parti structuré, et il n’y a pas de raison d’être en porte-à-faux avec le président national. Mais en fonction des contextes et des nécessités, est-ce que la situation sera réévaluée ou pas? S’il n’y a pas d’autres solutions, qu’est-ce qu’on fait? À ce stade, je ne vais pas de manière prématurée vous indiquer où cela irait, car le contexte est très compliqué.

En raison de l’arithmétique, on ne peut donc pas exclure la piste Ahidar ?

La difficulté est là. Quand l’arithmétique commande, elle est têtue.

À Schaerbeek, la tension avec le MR est-elle redescendue ?

J’ai pris acte de messages d’excuses.

Venant de qui?

Je ne vais pas personnaliser. Je suis dans une volonté d’apaisement. Notre ressenti très négatif a été suivi de messages d’excuses des personnes qui en étaient à l'origine. J’en prends acte, mais en même temps, ce qui est essentiel pour nous, c’est la légitimité démocratique. Nous sommes le premier parti avec 19% des voix et qu’on ne vienne pas m’agréger les résultats du cartel MR – Les Engagés. Et puis M. Koyuncu a fait le meilleur score. Nous avons des légitimations démocratiques qui font qu’on revendique le mayorat, et de ce point de vue on n'en démordra pas.

Vous avez dénoncé du racisme vis-à-vis de votre élu Hasan Koyuncu, sur lequel des réserves ont été émises. Quelle est la ligne rouge?

Il est tout à fait légitime de formuler des reproches aux acteurs politiques et cela se passe tous les jours. Je fais moi-même l’objet régulièrement d’attaques politiques, fondées ou infondées, tout ça se discute. Mais ici, on parle d’une chasse à l’homme. Nous avions tous les jours des appels de certains de vos confrères sur base d’une série d’éléments visant à nuire à sa réputation. Avec des choses démontées une par une qui procédaient de la rhétorique de la nébuleuse, insupportable. On allait fouiller dans sa vie privée, on s’intéressait aux activités économiques de son entourage avec lesquelles il n’a pas de lien. Et donc là j’ai dit: attention, le PS ne laissera jamais l’un des siens être traîné dans la boue de cette façon.

Nos dernières analyses sur la formation du gouvernement fédéral

Les présidents des cinq partis de l'Arizona ont repris les négociations fédérales ce 18 novembre, alors que Bart De Wever retournera chez le Roi le 25 novembre.

Le formateur a beau continuer ses efforts pour former un gouvernement le plus rapidement possible, la fenêtre permettant d’encore faire voter un budget d’ici la fin de l’année est en train de se refermer. Le pays va devoir enclencher le pilote automatique des douzièmes provisoires, avec les risques que cela comporte.

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Vooruit rejoint la table des négociations au Fédéral. Le PS est mal pris?

Ce qui m’inquiète le plus, c’est le sort qui va être réservé à la population. Le gouvernement Michel ça a été quoi? Saut d’index, hausse de la TVA sur le gaz et l’électricité, plusieurs milliards d’euros de coupes dans les soins de santé, définancement de la SNCB, atteinte au droit du travail... Et altération de la démocratie, quand on laissait Theo Francken stigmatiser en permanence des catégories entières de la population. Alors Vooruit se bat, et il leur appartiendra de poser leurs jalons, notamment sur la question de l’indexation et l’absence de fiscalité juste sur les grands patrimoines et les multinationales. C’est un gouvernement qui sera douloureux pour la population et il ne s’en cache même pas. J’ai les pires craintes, et le conseil donné à Vooruit est de faire attention à ce dans quoi ils mettent les pieds.

Les phrases-clés
  • "Avoir la N-VA à bord d'un gouvernement bruxellois, ce n'est certainement pas une option sur laquelle on est prêt à travailler".
  • "La situation est difficile, mais elle est surmontable. Certains dramatisent, jouent aux prophètes de malheur en disant que la région est en faillite."
  • "Je suis partisan de ne pas augmenter les impôts. Par contre, on peut améliorer la perception."
  • "On doit pouvoir dire à Audi qu’ils font déjà assez de dégâts en fermant l’usine et que Bruxelles doit pouvoir récupérer ces terrains d’une manière ou d’une autre pour attirer des investisseurs."
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