L'IA générative va-t-elle épuiser les réserves d'eau mondiales?
La consommation en eau des datacenters nécessaires au bon fonctionnement des outils d'IA générative est en forte augmentation. "Il faudra faire des arbitrages", alertent des scientifiques belges.
Dans la course effrénée que se livrent géants du Net et petites start-ups du monde entier pour développer des modèles d'intelligence artificielle grand public, proposer des services basés sur ces modèles et convaincre les utilisateurs, un élément est souvent absent de l'équation: l'eau. Mais que vient faire l'eau dans la révolution de l'intelligence artificielle générative initiée par OpenAI et son ChatGPT? Eh bien, sans elle, cette révolution n'existerait pas.
"En 2022, Microsoft a augmenté sa consommation d'eau de 34%, Google de 22% et Meta de 3%."
Car les produits mis sur le marché par les grandes entreprises technologiques qui utilisent l'IA générative fonctionnent sur de grands modèles de langage capables de traiter et de générer d'énormes quantités de données textuelles, numériques et visuelles. Le fonctionnement de ces modèles requiert une puissance de calcul considérable, ce qui nécessite l'utilisation d'immenses datacenters remplis de serveurs. Ces datacenters, il faut en permanence les refroidir et pour cela, on utilise de l'eau, souvent réfrigérée, qui va absorber la chaleur de l'air. Une partie de l'eau s'évapore au cours du processus de refroidissement, tandis qu'une autre peut être réutilisée. Cela se fait généralement en circuit ouvert, ce qui est synonyme d'une consommation très importante.
Selon plusieurs études universitaires américaines récentes dont une de l'université de Californie, la demande en intelligence artificielle entraînerait une augmentation des prélèvements d'eau – c'est-à-dire l'extraction de l'eau des sources souterraines ou de surface – de 4,2 à 6,6 milliards de mètres cubes d'ici à 2027, soit environ la moitié de la quantité consommée par le Royaume-Uni chaque année.
"Nous reconnaissons que la formation de grands modèles peut être gourmande en eau, et c'est l'une des raisons pour lesquelles nous travaillons constamment à améliorer l'efficacité."
Premiers signes de cette augmentation, pour l'année 2022 qui est la dernière période pour laquelle des chiffres sur cette consommation sont disponibles, Microsoft a augmenté sa consommation d'eau de 34%, Google de 22% et Meta de 3%. L'usage de l'intelligence artificielle générative ayant été bien plus important en 2023, il faut s'attendre à une véritable explosion de ces chiffres pour les années suivantes.
10 requêtes à ChatGPT = une bouteille d'eau
Un mois avant qu'OpenAI ne termine l'entraînement de son modèle le plus avancé, GPT-4, un cluster de centres de données situé à West Des Moines, dans l'Iowa, aurait consommé 6% de l'eau du district, selon des chiffres recensés dans une action en justice intentée par les habitants de la ville contre l'entreprise américaine. De façon très concrète, demander entre 10 et 50 réponses au populaire chatbot ChatGPT d'OpenAI (la version GPT-3) équivaudrait à "boire" une bouteille d'eau de 50 cl, selon Shaolei Ren, professeur à l'université de Californie à Riverside et cité par le Financial Times. Le modèle GPT-4 ayant plus de paramètres et nécessitant plus d'énergie, il est donc susceptible de consommer plus d'eau.
"Nous reconnaissons que la formation de grands modèles peut être gourmande en eau, et c'est l'une des raisons pour lesquelles nous travaillons constamment à améliorer l'efficacité", a commenté OpenAI en réponse aux nombreuses questions sur le sujet. De son côté, Microsoft, dont les installations et la puissance de calcul sont utilisées par OpenAI, explique qu'"actuellement, le calcul de l'IA ne représente qu'une fraction de l'électricité utilisée par les centres de données, qui consomment collectivement environ 1% de l'approvisionnement mondial en électricité. L'augmentation de cette proportion et l'impact de la croissance de l'IA sur la course mondiale vers le 'net zéro' dépendront de nombreux facteurs".
Technologie et environnement, inconciliables?
L'élan technologique et l'élan environnemental semblent évoluer dans deux silos distincts. Mais sont-ils pour autant inconciliables? Le collectif AlterNumeris, composé de penseurs belges issus de disciplines différentes et de dix académiques, s'est penché sur la question et a publié un dossier qui interroge la compatibilité entre la transition numérique et la transition environnementale. "On peut les concilier, mais il faut élargir sa vision et objectiver les choses. Pour l'instant, il n'y a jamais d'évaluation des annonces faites et personne n'objective jamais l'impact", explique Steve Tumson, consultant en numérique responsable et coauteur du rapport.
"On ne pourra pas gagner indéfiniment en efficacité et les usages vont, eux, continuer à tendre à la hausse. À un moment donné, il faudra faire des arbitrages."
Une première étape vers un développement technologique plus responsable serait donc d'objectiver et de prendre en compte tous les paramètres, dont celui de l'impact environnemental. "Avec l'intelligence artificielle que l'on connaissait jusqu'ici, la majorité de l'impact se faisait sur l'entraînement des modèles. Avec l'IA générative, la partie utilisation devient le plus gros problème. Si on ne limite pas les usages, je ne vois pas comment on peut enrayer cette consommation", complète notre interlocuteur. Avant de conclure: "On ne pourra pas gagner indéfiniment en efficacité et les usages vont, eux, continuer à tendre à la hausse. À un moment donné, il faudra faire des arbitrages, notamment sur la question de l'eau".
Toute l'actualité sur ChatGPT et les acteurs de l'intelligence artificielle. Infos, analyses et décryptages de cette révolution.
- La demande croissante pour les services d'intelligence artificielle générative entraîne une surconsommation d'eau pour refroidir les datacenters.
- Cette surconsommation est estimée entre 4,2 et 6,6 milliards de mètres cubes d'ici à 2027.
- Un collectif de scientifiques belges alerte sur la nécessité de prendre en compte l'impact environnemental de cette technologie et d'envisager des arbitrages.
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