(l'écho) Les différentiels de croissance et de rendements plaident de moins en moins en faveur du billet vert. Battant en retraite face aux principales devises internationales, la monnaie américaine a donc égalé hier en séance le plancher historique qu'elle avait atteint le 30 décembre 2004, à savoir 1,3666 USD, avant de revenir peu après 18 h à 1,362 dollar pour 1 euro sur le marché des changes. Ce trend baissier est également perceptible face à la livre sterling qui a grimpé au plus haut depuis presque 26 ans à 2,004 USD.
Décalage conjoncturel...
Le billet vert est, on l'a suffisamment répété, miné face à l'euro et la plupart des devises internationales, par des spéculations continues du marché sur le fait que le ralentissement de l'activité économique aux Etats-Unis va contraindre la Réserve fédérale (Fed) à assouplir sa politique monétaire dans le courant de l'année.
La Fed a laissé ses taux d'intérêt inchangés à 5,25% depuis l'été dernier, alors que la Banque centrale européenne (BCE) et sa contrepartie britannique (BoE) ont relevé les leurs à plusieurs reprises depuis, augmentant ainsi le rendement des capitaux investis en euro et en livre aux dépens de ceux placés en dollar. Le différentiel de taux qui favorisait jusqu'il y a peu les actifs libellés en USD est donc appelé à perdre de plus en plus de son attrait auprès des investisseurs internationaux, en particulier ceux qui sont adeptes d'opérations de portage («carry trade») consistant à emprunter dans les devises à faibles rendements comme le yen ou le franc suisse pour investir dans les devises plus «généreuses».
Le pic de l'inflation à 3,1% en mars en Grande-Bretagne a incité les économistes britanniques à revoir leurs prévisions de taux directeurs de la BoE à la hausse, jusqu'à 6% pour certains, tandis qu'un relèvement des taux courts européens à 4% semble acquis en juin, certains analystes anticipant déjà les 4,25%. Et ce même s'il faut admettre que l'appréciation de l'euro et de la livre, qui diminue les prix à l'importation, fait une partie du travail de la BCE et de la BoE en ce sens qu'elle compense en partie les pressions inflationnistes induites par la vigueur économique et la cherté persistante des matières premières, qui, rappelons-le, sont, pour la plupart, libellées en dollar US.
Dans ce contexte, il n'est pas, selon Peter Franck, économiste de la banque ABN Amro, «surprenant que la punition continue pour le dollar». Et son collègue Gavin Friend, de la Commerzbank, de renchérir qu'il ne voit rien «qui puisse inciter le marché à avoir une meilleure opinion du billet vert».
Le différentiel de rendements entre les emprunts d'état à deux ans de la zone euro et des Etats-Unis n'est plus actuellement que d'environ -0,5%, alors qu'en 2005 il avait frôlé les -2%. Ce qui est finalement logique lorsque l'on sait que le différentiel de croissance entre le Vieux continent et les Etats-Unis avoisine désormais +0,3%, contre plus de -2,5% fin 2003. On perçoit mieux ainsi le décalage entre les cycles conjoncturels de part et d'autre de l'Atlantique.
... aux mains des spéculateurs
Rien d'étonnant, dés lors, à ce que les investisseurs adoptent majoritairement des positions longues sur l'euro et courtes sur le billet vert. Alors qu'elles étaient nulles en janvier 2006, les positions non commerciales nettes (celles ouvertes par les fonds spéculatifs sur le marché des futures et options) sont résolument longues sur l'euro, à hauteur de 106.000 contrats, contre une moyenne de 73.000 contrats sur les douze derniers mois! A contrario, celles sur le dollars sont courtes à hauteur de - 58.000 contrats, contre une moyenne à douze mois de - 10.000 contrats, et des positions longues de plus de 90.000 contrats en févier. Le revirement d'attitude est donc pour le moins brutal et reflète toutes les incertitudes levées dans l'intervalle par la crise de l'immobilier US (lire "L'immobilier américain déprime les marchés") et ses répercussions sur le croissance des USA. En l'absence de véritables réactions politiques en Europe ou lors du dernier G7 contre un euro fort, le consensus du marché table logiquement, selon Bloomberg, sur un cours moyen de 1,36 USD pour le deuxième trimestre. Les défenseurs de la monnaie unique font, il est vrai, régulièrement valoir que l'Allemagne est, malgré la vigueur de l'euro, redevenue une championne de l'exportation au niveau mondial et que des pays comme la Belgique, l'Irlande ou les Pays-Bas affichent des excédents commerciaux. Luc Charlier