La période de Noël fut le point d’orgue de la turbulente année boursière 2018. Après la pire journée de toute l’histoire de l’indice américain S&P 500, le 24 décembre, ce même indice a enregistré le 26 décembre le plus important rebond depuis la crise financière, il y a dix ans.
Ces mouvements illustrent la perplexité dans laquelle se trouvent les investisseurs, qui oscillent entre espoir et inquiétude: ils espèrent d’une part que la guerre commerciale et le Brexit trouveront une issue favorable et que l’économie continuera à croître, mais ils craignent en même temps une exacerbation de ces conflits, un resserrement de la politique de la banque centrale américaine et une récession économique.
D’après certains observateurs, ces incertitudes devraient continuer à peser sur les Bourses en 2019 et entraîner une importante volatilité des cours. Car face à ces incertitudes, une possible réaction est de réduire les risques et de vendre les titres qu’on détient en portefeuille. De nombreux investisseurs ne s’en sont d’ailleurs pas privés au cours des derniers mois. Il est donc plus difficile que jamais de savoir si une action est correctement valorisée.
Les bonnes affaires de la Bourse après la correction de 2018
+ Zoom sur 60 actions belges
Le 'Guide Actions' est paru le 19/1. Abonné à L'Echo? Cliquez ici pour le lire au format PDF.
Prenons le risque de guerre commerciale, que le président Trump brandit régulièrement. Comment évaluer la valeur d’une action si nous ne connaissons pas par exemple le niveau des taxes d’importation qui seront d’application? Nous constatons par ailleurs que les entreprises européennes sont moins enclines à investir, ce qui pèse à son tour sur la croissance économique. Le Fonds monétaire international (FMI) estime que si tous les droits d’importation annoncés sont réellement mis en place, l’économie mondiale devrait perdre 0,75% de son PIB d’ici 2020. L’année 2019 pourrait dès lors être marquée par un ralentissement de la croissance en Europe, en Chine et aux Etats-Unis.
Tous ces éléments complexifient donc l’environnement dans lequel les actions évolueront cette année. Ils influenceront aussi la hausse des bénéfices des entreprises, qui est de ce fait un facteur de valorisation essentiel.
Comment les hausses de taux sont-elles perçues?
Aux Etats-Unis en particulier, les regards sont tournés avec inquiétude vers la Fed, qui, de toutes les banques centrales, est au stade le plus avancé dans l’abandon progressif de la politique exceptionnelle de soutien à l’économie, qui a vu le jour au lendemain de la crise financière. Ces trois dernières années, la Fed a augmenté les taux à neuf reprises et est en train de réduire son bilan au rythme de 50 milliards de dollars par mois.
Les incertitudes devraient continuer à peser sur les Bourses en 2019 et entraîner une forte volatilité des cours, selon certains observateurs. Il est dès lors plus difficile que jamais de savoir si une action est correctement valorisée.
Résultat, le désengagement des banquiers centraux a provoqué en 2018 une correction des valorisations d’une série d’actifs, y compris des actions. Les investisseurs recherchent à nouveau des niveaux qui correspondent aux fondamentaux économiques sous-jacents, au lieu de provoquer des bulles spéculatives avec l’argent gratuit des banques centrales. La grande question est de savoir dans quelle mesure les portefeuilles d’investissement devront encore se désintoxiquer – lisez, se réduire – de tout cet argent gratuit.
Le président de la Fed, Jérôme Powell, se montre provisoirement déterminé face aux turbulences du marché. Tant que l’économie reste solide – avec des salaires en hausse et un taux de chômage faible – il poursuivra le resserrement de sa politique. Mais les investisseurs craignent de plus en plus que la Fed aille trop loin et provoque une récession, avec pour conséquence d’importantes pertes boursières et des dégâts économiques qui risquent d’entamer la confiance des consommateurs et des entrepreneurs. La Fed n’y est pas insensible, si l’on en croit la communication du mois dernier. Il n’est donc pas exclu qu’elle fasse une pause pour limiter les dégâts si les turbulences des Bourses perdurent.
Quels secteurs seront les plus touchés?
Mais quelles seraient les conséquences de ces baisses de cours sur les bénéfices attendus des entreprises pour 2019? Et quels sont les éléments déjà intégrés dans les cours? En décembre, la banque UBS a réalisé un exercice intéressant sur les actions européennes.
La banque a chiffré les attentes implicites des investisseurs en matière de bénéfices en comparant les cours des actions en baisse avec la moyenne à long terme du ratio cours/bénéfice (le cours divisé par le bénéfice par action, un ratio très souvent utilisé pour savoir si une action est correctement évaluée, lire aussi p. 13). Sur la base des cours de Bourse actuels, de combien les bénéfices des entreprises devraient-ils baisser en 2019 pour être en adéquation avec les ratios cours/bénéfice historiques? Si le calcul démontre par exemple que le bénéfice attendu devrait baisser drastiquement, cela pourrait indiquer que les investisseurs ont exagérément pénalisé l’action.
L’exercice nous apprend que les investisseurs sont très pessimistes pour 2019. Le bénéfice moyen des entreprises européennes devrait baisser de 16% – par rapport au consensus actuel de +9% à -7% – si le ratio moyen cours/bénéfice est respecté.
Les deux seuls secteurs où les cours de la mi-décembre permettent d’attendre une hausse des bénéfices sont l’alimentation (+18%) et les boissons (+12%). En d’autres termes, des valeurs défensives.
On constate cependant de grandes différences entre les secteurs. Par exemple, les investisseurs s’attendent à une véritable implosion des bénéfices des constructeurs automobiles, du moins si l’on suppose que les valorisations actuelles du secteur sont correctes. En 2019, leurs bénéfices devraient chuter d’au moins 62% par rapport au consensus actuel. Les télécoms (-47%), les médias et le secteur du tabac (tous deux -35%) ainsi que les assureurs (-33%) n’y échappent pas davantage. Ce n’est pas un hasard s’il s’agit précisément de secteurs où la "disruption" – technologique ou réglementaire – constitue un véritable casse-tête et justifie donc une certaine dose de pessimisme, estime-t-on chez UBS.
Mais le malaise ne s’arrête pas là: les investisseurs s’attendent à des baisses de bénéfices d’au moins 10% dans pas moins de 19 secteurs, dont les banques, les semi-conducteurs et le secteur pharmaceutique. Une "récession des bénéfices" – qui se définit par une baisse pendant deux mois consécutifs des bénéfices des entreprises par rapport à la même période un an plus tôt – semble donc quasi inévitable. Les deux seuls secteurs où les cours de la mi-décembre permettent d’attendre une hausse des bénéfices sont l’alimentation (+18%) et les boissons (+12%). En d’autres termes, des valeurs défensives.
Quels pays seront les plus touchés?
UBS a réalisé le même exercice par pays, notamment pour l’Italie (-39%) et l’Allemagne (-26%). Est-ce le signe d’un fort potentiel de hausse des bénéfices? Tout dépend de la façon dont on voit les choses. Ce qui frappe, c’est que d’après les investisseurs, les bénéfices des entreprises belges devraient augmenter de 3% par rapport au consensus.
Les actions américaines n’échappent pas au pessimisme ambiant. Le consensus des analystes pour le S&P 500 se base sur une croissance des bénéfices par action de 8% en 2019, une baisse importante par rapport aux attentes supérieures à +20% en 2018, nous apprennent les données de FactSet. Début octobre, les analystes tablaient encore sur une hausse des bénéfices de 10,4% pour 2019, mais entre-temps ils ont revu leurs estimations à la baisse. En décembre, ils ont réduit leurs attentes pour plus de la moitié des entreprises du S&P 500 qui, l’an dernier, ont bénéficié de la baisse des impôts approuvée fin 2017 et de la vigueur de l’économie.
Les stratégistes de Morgan Stanley estiment à plus de 50% la probabilité d’une récession des bénéfices en 2019.
Aux Etats-Unis également, une récession des bénéfices se profile, du moins si l’on en croit les stratégistes de Morgan Stanley, qui estiment à plus de 50% la probabilité d’une récession des bénéfices en 2019, peut-on lire dans le quotidien économique The Wall Street Journal. Les marges bénéficiaires des entreprises sont également sous pression suite à la hausse des salaires et des taxes d’importation dues à la guerre commerciale lancée par Donald Trump. Et un ralentissement économique ne fera qu’aggraver les choses. La réponse à la question de savoir si une éventuelle récession des bénéfices ira de pair avec une récession économique – comme c’est souvent le cas – dépendra de la réaction des investisseurs. Les actions pourraient donc encore baisser.