La chute des taux a poussé les investisseurs vers d’autres types de placements que les traditionnels carnets d’épargne ou les obligations. Outre l’immobilier, l’investissement forestier, même s’il reste encore relativement confidentiel, refait parler de lui depuis quelques années. Il faut dire que les prix du bois ont doublé depuis une dizaine d’années, au point que l’expression "or vert" a refait son apparition, après une première poussée de fièvre, lorsque le baril de pétrole (que le prix du bois suit partiellement) culminait à 140 dollars.
"Les prix ont bien monté depuis 2008 et ils sont restés stables depuis deux ou trois ans", explique Joseph Counet, gestionnaire forestier établi dans la région de Stavelot. Les prix varient bien entendu en fonction de la catégorie de bois: sur pied ou abattu, en petit ou en gros bois, en Ardenne ou en Moyenne Belgique, ou encore selon l’espèce de l’arbre. Mais pour du gros bois de sapin (épicéa) sur pied, c’est-à-dire en fin de vie des arbres, "cela va jusque 80 ou 90 euros le mètre cube actuellement". Le prix des terrains suit. "L’hectare à planter se vend entre 4.000 et 5.000 euros. C’est aussi le double d’il y a quelques années. Comme l’épargne ne rapporte plus rien, le bois est devenu une valeur refuge".
Quel rendement?
Naturellement, ce type d’investissement ne s’envisage qu’à (très) long terme, et son rendement sera fonction du prix du bois à chaque coupe. "Il faut compter au moins 50 ou 60 ans pour qu’un arbre arrive à maturité. Vous faites la première éclaircie à partir de 25 ans, puis une autre tous les 5, 6 ou 7 ans, soit 3 ou 4 éclaircies au total. Comme le bois est de plus en plus gros, il se vend aussi de plus en plus cher".
Un hectare d’épicéas produit à terme 400 m³ de bois en moyenne, et 600 m³ en comptant les éclaircies intermédiaires. Un volume toutefois "difficile à évaluer: en fonction de la qualité du sol, qui joue beaucoup, vous pourriez très bien n’atteindre que 350 m³. Au total, on peut dire que le rendement annuel varie entre 2 et 5%. Plus du simple au double donc".
Il existe toutefois une astuce pour bénéficier d’un rendement plus rapide: les sapins de Noël. "Des arbres qui ont entre 5 et 7 ans se vendent entre 2 et 8 euros pièce, selon leur taille. Mais il faut encore trouver la clientèle et couper au bon moment parce qu’au-delà d’une certaine taille, ils sont trop grands pour être vendus".
Seuls 20% des arbres vendus comme sapins de Noël sont des épicéas. Dans 80% des cas, ce sont des Nordmann, une espèce qui perd moins ses aiguilles dans la chaleur des logements et dont les extrémités sont moins piquantes.
Le sapin, à mettre entre toutes les mains?
"Il s’agit d’un marché assez fermé et complexe, tempère toutefois Charles Crespin, notaire à Stavelot. Les propriétés à vendre en lots sont assez rares et, généralement, les transactions se font entre propriétaires de la région, qui se connaissent bien. Et puis, en plus de la gestion que vous devez confier à des spécialistes pour les éclaircies, vous devez quand même faire face à beaucoup d’aléas: une tempête qui couche vos sapins au sol, une maladie des arbres, le voisin qui coupe avant vous…"
Si, il y a une ou deux générations, un hectare de forêt se gardait des décennies et était considéré comme "une poire pour la soif", ce sont des lots plus grands, de plusieurs hectares, qui seraient désormais convoités par les investisseurs. Et ils sont parfois prêts à y mettre davantage que le prix…
"Le prix du bois est une chose, et il est assez fluctuant. Mais le fonds, c’est-à-dire le terrain lui-même, est de plus en plus considéré comme une valeur refuge, explique Olivier Noiret, expert forestier. Les propriétés forestières partent à des prix très élevés, parfois bien au-delà des estimations. Des investisseurs déçus par la crise financière, typiquement ceux qui détenaient des actions Fortis, ont préféré se tourner vers les forêts".
"L’hectare à planter, qui vaut 4.000 ou 5.000 euros en Ardenne (un peu moins en Moyenne Belgique car il faut ajouter le prix du transport vers les scieries) valait à peine 2 ou 3.000 euros il y a cinq ans", constate l’expert. La valeur vénale totale des terrains est fonction de la grosseur des arbres qui s’y trouvent. "Pour 400 m³ d’épicéas de plus de 180 cm de circonférence (mesurée à 1,5 mètre de hauteur), il faut donc ajouter 32.000 euros, soit 36.000 à 37.000 euros comme valeur totale". Or, "pour une belle parcelle, en bord de route, on a vu des transactions se conclure à des prix bien plus élevés. Il y a un très grand intérêt pour ces terrains".
Avantages en cas de donation/succession
D’autant que, depuis 2008, une modification du code forestier wallon permet aux acheteurs de bénéficier d’un avantage non négligeable. "En cas de donation ou de succession, on ne compte plus les droits que sur la valeur du fonds, et non plus sur le croissant. C’était une grosse pénalité pour la durabilité des forêts puisque, pour éviter un impôt trop lourd, on coupait avant terme".
À l’achat, les droits d’enregistrement restent en revanche dus sur l’ensemble de la valeur des terrains. Dans le cadre d’une planification successorale et vu l’horizon d’investissement éloigné, certains optent pour un achat ou une donation scindé(e) entre nue-propriété et usufruit.
Évolution erratique des prix
Les prix du bois vont-ils encore grimper? "C’est très difficile à dire. Un événement climatique comme la tempête de 1990 en Belgique, une crise financière, ou encore une taxe russe ou chinoise peuvent affecter les prix du jour au lendemain", prévient Olivier Noiret.
"C’est vrai que les prix ont doublé depuis 2003. Mais si vous regardez à plus long terme, on assiste plutôt à une érosion lente des prix. Pour vous donner une idée, en 1960, et en euros constants, l’épicéa d’Ardenne de 90 à 120 cm valait 140 euros le m³. Il vaut aujourd’hui entre 65 et 75 euros car le coût de l’énergie et de la main-d’œuvre a fortement augmenté depuis lors".
Les épicéas n’ont été plantés que vers le milieu du 19ème siècle dans les Ardennes belges, car ils poussaient plus rapidement que les feuillus. Bien qu’ils rendent les sols plus acides, ils ont donc recouvert une bonne partie de nos forêts, raréfiant ainsi la production de chênes ou de hêtres.
Aujourd’hui, ce sont les Chinois qui achètent la majorité des feuillus produits en Europe… pour les revendre sur le marché européen (notamment) sous forme de planches.
Un phénomène qui n’inquiète pas outre mesure le gestionnaire forestier Joseph Counet. "C’est un fait: ils achètent le bois, surtout le chêne et le hêtre et le transforment là-bas parce que la main-d’œuvre y est beaucoup moins chère. Et tout cela nous revient en planches. Mais cela ne concerne pas les résineux. Et puis, pour les producteurs d’ici, c’est plutôt une bonne chose que les prix montent, non?"
Dans les magasins de bricolage, on confirme que "tout vient de Chine maintenant".