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Vos droits dans les méandres d'une procédure d'expropriation

Soyons clairs, vous avez peu de chances de pouvoir vous opposer à une expropriation. Par contre, défendez vos intérêts pour obtenir la meilleure indemnisation possible. Et pour cela, un impératif: préparez votre dossier sans tarder. Car les délais sont extrêmement serrés.
Les expropriations liées au RER ou au projet Rive Gauche à Charleroi ont fait l’actualité mais la procédure ne concerne parfois qu’un bout de terrain au fond d’un jardin ou un parking devant une maison.
Les expropriations liées au RER ou au projet Rive Gauche à Charleroi ont fait l’actualité mais la procédure ne concerne parfois qu’un bout de terrain au fond d’un jardin ou un parking devant une maison. ©Photo News

"Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité". Ce principe est inscrit dans la Constitution. Mais que recouvre donc cette notion d’utilité publique qui autorise les autorités administratives (Région, commune, organisme parastatal de type SNCB, etc.) à procéder à l’acquisition forcée de biens immobiliers au motif qu’ils sont nécessaires à la réalisation d’objectifs qu’elles se sont fixés ou qui leur sont assignés? Comme des travaux d’extension d’un aéroport, du RER, des travaux d’égouttage, l’extension d’une voirie, etc.

La cession forcée (privation) du droit de propriété doit évidemment se faire dans le respect de règles strictes. Mais aujourd’hui, la procédure d’extrême urgence est devenue la norme pour les expropriations. "La loi de 1962 règle toute la procédure en 21 articles qui tiennent sur une page alors que l’on touche à des notions fondamentales, déplore l’avocat spécialisé en immobilier, Sadri Ellouze. Les règles ne sont en outre pas du tout adaptées aux exigences et réalités de terrain".

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Procédure

Voyons donc quelle est la procédure et comment cela se passe.

Dans un premier temps, l’autorité administrative publie un arrêté d’expropriation qui en précise les motifs et justifie l’extrême urgence. Les propriétaires dont les biens sont situés dans le périmètre des parcelles concernées doivent être avertis par écrit et à leur domicile. Dans la pratique, "le pouvoir expropriant va parfois commencer par essayer de négocier avec les propriétaires et expliquer son projet avant de publier l’arrêté", constate l’avocat.

L’indemnité

Comment est-elle définie?

L’indemnité liée à une expropriation intègre, outre la valeur vénale du bien (ce que le propriétaire obtiendrait en cas de vente dans des conditions normales):

  • la valeur de convenance (valeur spécifique du bien pour l’exproprié en raison d’aménagements particuliers);
  • la valeur d’affection (éléments subjectifs et sentimentaux qui poussent à surestimer la valeur);
  • la dépréciation des biens conservés (un commerce qui se retrouve privé de parking par exemple);
  • les indemnités de remploi (frais à exposer pour acquérir un immeuble équivalent et reconstituer son patrimoine);
  • les intérêts d’attente (couvrant le préjudice lié au temps nécessaire pour retrouver un bien similaire);
  • le coût du déménagement;
  • les dommages moraux;
  • les préjudices commerciaux (liés à la cessation/réduction temporaire de l’activité).

Car si la proposition (indemnisation) est raisonnable et que l’expropriation porte sur un bien qui ne constitue pas un enjeu majeur pour le propriétaire (un bout de terrain au fond de son jardin par exemple), voire que cette situation l’arrange, les négociations peuvent aboutir rapidement. Mais ce n’est pas souvent le cas. "Si l’expropriation affecte une activité commerciale, industrielle, ou agricole, le propriétaire sera motivé à contester et à se battre. De son côté, le père de famille nombreuse qui se voit privé de la place de parking devant chez lui - même si elle n’est pas vitale — défendra sa cause par principe et pour marquer son mécontentement".

Dans les faits, les expropriés ont en tout cas peu de chances de réussir à s’opposer à un projet qui justifierait l’expropriation. "À moins que le pouvoir expropriant ait été négligent ou si son projet n’est pas suffisamment abouti", note Sadri Ellouze. "Les conditions d’extrême urgence sont en effet parfois difficiles à respecter par les autorités elles-mêmes, en cas de blocages ou de changement de majorité politique par exemple."

2 ou 3 mois

Toujours est-il que si l’exproprié n’a pas trouvé matière à contester la décision devant le Conseil d’État, et/ou si aucun accord à l’amiable n’a pu être trouvé avec l’expropriant, une procédure judiciaire sera lancée. Et à partir de ce moment-là tout va s’accélérer. Il s’agit donc de s’y préparer!

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Un avocat désigné par le pouvoir expropriant va déposer une requête devant le juge de paix. "Et déjà 15 à 20 jours plus tard, une première audience se tiendra sur les lieux — c’est-à-dire la maison, la zone agricole, le hangar industriel ou le bout de jardin concerné par l’expropriation! C’est là qu’on voit que cette législation est totalement surréaliste, observe Sadri Ellouze. Car si l’exproprié veut contester, il est obligé de développer tous ses arguments de droit sur place, lors de l’audience. C’est-à-dire parfois dans un champ, les pieds dans la boue, sous la pluie, en présence du juge et de son greffier!"

Comme les délais sont extrêmement courts, ceux qui veulent défendre leurs intérêts doivent agir immédiatement. "S’il y a bien un élément crucial pour l’exproprié, c’est de préparer sa ligne de défense le plus tôt possible, idéalement dès qu’il dispose d’une information faisant état d’une expropriation", insiste l’avocat spécialisé en immobilier. Car lorsque la procédure est lancée, il est déjà trop tard. Il est en effet impossible de bétonner un dossier pour une audience fixée 8 jours plus tard".

"La législation est totalement surréaliste sur certains points. L’audience se tient sur les lieux. Parfois, l’exproprié développe ses arguments juridiques sous la pluie, les pieds dans la boue."


Le juge devra lui aussi rendre sa décision très rapidement: dans les 48 heures. Concrètement, il dira s’il y a lieu d’exproprier ou non. Le cas échéant, il déterminera à titre provisoire le montant des indemnités provisionnelles d’expropriation (au moins 90% de la somme offerte par l’expropriant) qui devront être versées à la Caisse des Dépôts et Consignations par l’expropriant, lequel pourra ensuite prendre possession des lieux.

De son côté, l’expert chargé par le juge de dresser l’état descriptif du bien et de l’évaluer devra déposer son rapport dans les 15 jours.

Ensuite, lors d’une nouvelle audience, le juge se prononcera sur l’estimation de l’expert - qu’il validera ou non —, et fixera les indemnités provisoires qui deviendront définitives si dans les deux mois aucune des parties n’a introduit une action en révision.

Lenteurs en fin de procédure

Pour l’exproprié ce ne sera pas encore le bout du tunnel. "Car le dernier délai de recours de deux mois ne commencera à courir que si l’expropriant a rempli toutes les démarches (remise de documents administratifs) qui lui incombaient". Ce qui n’est pas toujours le cas. Alors, pour disposer enfin de l’indemnisation qui lui est due, il n’aura alors parfois qu’une seule solution: réclamer des astreintes.

"Une situation de total déséquilibre", dénonce Sadri Ellouze. Une réforme de la loi sur l’expropriation est certes promise depuis longtemps, mais son chantier n’a pas encore débuté.


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