Pourquoi le précompte immobilier est-il un impôt inéquitable?
L'absence d'actualisation du revenu cadastral contribue à des écarts importants de précompte immobilier pour des biens similaires. À Etterbeek, les propriétaires concernés ont été invités à mettre à jour leurs données.
N'avez-vous jamais comparé votre précompte immobilier, mais surtout le montant de votre revenu cadastral (RC) qui sert à le calculer, à celui de vos voisins? Vous aurez alors vite fait de remarquer qu'il n'est pas rare que le RC d'un petit appartement construit en 2018 soit plus élevé que celui d'une maison voisine construite en 1960.
Cette situation, qui s'explique par l'absence de péréquation depuis la fin des années 1970, mène parfois à des écarts d'imposition considérables, mais surtout injustes.
Une indexation qui creuse l'écart
Le revenu cadastral est en réalité un revenu fictif fixé par la loi à un moment de référence qui est toujours le 1ᵉʳ janvier 1975. Le RC est donc le loyer net annuel que vous pourriez obtenir dans des circonstances normales si le bien était loué le 1ᵉʳ janvier 1975.
Toujours selon la loi, l’administration doit faire une réévaluation générale, autrement dit une péréquation, pour pouvoir tenir compte du vieillissement du style architectural général, de meilleures conditions de confort, de l’évolution de facteurs environnants, etc. La dernière date de 1979 et est basée sur la situation en 1975.
Pour compenser le fait qu’il n’y a plus eu de péréquation depuis lors, le RC est automatiquement indexé depuis 1991 sur base de l’indice des prix à la consommation. Pour l’année de revenus 2023, le coefficient est de 2,0915, soit une hausse de 9,6% par rapport à 2022.
C'est ici que se situe le nœud du problème. Cette indexation s'applique aussi bien aux revenus cadastraux figés en 1975 qu'à ceux nouvellement fixés, creusant d'autant plus les inégalités.
"Il appartient à chaque niveau de pouvoir de déterminer individuellement ce qu'il convient de faire avec le revenu cadastral."
Qui est compétent?
Ne serait-il pas plus juste de procéder à une péréquation à l'échelle nationale, comme le veut la loi ? Nous avons donc posé la question au ministre des Finances, puisque le Fédéral est à la manœuvre pour déterminer et réviser le montant du revenu cadastral, via "l'administration Mesures et Évaluations".
"Il appartient à chaque niveau de pouvoir de déterminer individuellement ce qu'il convient de faire avec le revenu cadastral à la lumière des compétences respectives de chacun, y compris en matière de durabilité, d'inoccupation, etc.", explique Vincent Van Peteghem (CD&V). Autrement dit, la question n'est pas à l'ordre du jour.
Tournons-nous du côté des Régions qui calculent et perçoivent le précompte immobilier. "Nous n'avons pas de compétence en matière de révision des revenus cadastraux. Une péréquation cadastrale reste donc une compétence fédérale en collaboration avec les pouvoirs locaux", explique Sven Gatz (Open VLD), ministre bruxellois des Finances.
Péréquation VS actualisation
Son collègue wallon Adrien Dolimont (MR) estime que "procéder à une péréquation générale n’a aucun sens, dès lors qu’elle sanctionnera ceux qui ont des biens récents et ceux qui ont déclaré les travaux effectués dans les biens plus anciens, tout en impactant très peu ceux qui ont des biens rénovés non déclarés comme tels, notamment les 'confort zéro'".
Les communes perçoivent plus de 70% des recettes du précompte immobilier via leurs additionnels et ont donc tout intérêt à mettre aux normes les RC qui ne le sont plus pour engranger des recettes supplémentaires.
Il faut selon lui distinguer péréquation et actualisation. La première étape est d'actualiser le RC. "C'est la responsabilité des communes, via des indicateurs-experts. Elles peuvent effectuer des contrôles pour vérifier que le RC est bien établi sur base des critères d’aujourd’hui", comme l'ont donc déjà fait partiellement certaines localités.
Les communes perçoivent plus de 70% des recettes du précompte immobilier via leurs additionnels et ont donc tout intérêt à mettre aux normes les RC qui ne le sont plus pour engranger des recettes supplémentaires. Le Fédéral, les Régions et les Provinces se partagent le reste du gâteau de l'impôt foncier, mais dans une moindre mesure, chaque niveau de pouvoir décidant de son taux d'imposition ou du niveau de ses additionnels.
"Une fois cette actualisation faite et l'équité rétablie, se pose alors seulement et éventuellement la question de la péréquation", poursuit le ministre Dolimont, qui remet en cause les critères déterminant le RC. "On se trouve actuellement avec d’énormes disparités géographiques basées sur des constats d’attrait ou de mobilité de 1970 qui ne collent majoritairement plus à la réalité actuelle", déplore le ministre.
En Région bruxelloise, de nombreux propriétaires d'un bien immobilier ont fait la grimace au moment de recevoir leur avertissement extrait-de-rôle au précompte immobilier. En cause, un double phénomène: d'un côté, l'indexation de 9,6% du revenu cadastral. De l'autre, l'augmentation des centimes additionnels au précompte immobilier décidée par huit des 19 communes bruxelloises.
En proie à des difficultés financières suite aux crises successives, certaines localités bruxelloises ont, en effet, décidé d'augmenter les impôts pour équilibrer leurs budgets. C'était le cas à Forest où il était impératif d'engranger de nouvelles recettes à la suite du recalage du budget par la tutelle régionale. Les centimes additionnels au PRI y sont désormais fixés à 3.990 contre 3.120 en 2022. Des hausses, moindres, sont aussi survenues à Anderlecht, Ixelles et Saint-Gilles. Dans trois autres entités, Ganshoren, Watermael-Boitsfort et Schaerbeek, la hausse du PRI s'est accompagnée d'une réduction de l'impôt sur les personnes physiques (IPP).
Dans ce contexte de crise propice à augmenter la pression fiscale, la commune d'Etterbeek fait figure d'exception. Elle est la seule commune bruxelloise à avoir baissé l'IPP sans hausse d'aucun autre impôt en contrepartie. En prime, cette commune de la première couronne est parvenue à renforcer ses recettes. Comment ? Tout simplement en écrivant à tous les propriétaires des 1.800 unités de logements encore répertoriés en "confort zéro" dans la matrice cadastrale afin de les inviter à actualiser leurs données.
"Comme je ne voulais vraiment pas augmenter le précompte immobilier, je cherchais une solution d'équité fiscale. J'ai pensé à la DLU (déclaration libératoire unique, NDLR) qui avait permis de rapatrier de l'argent de Suisse et du Luxembourg avec la carotte fiscale qui était de ne pas imposer de pénalités", explique le bourgmestre d'Etterbeek Vincent De Wolf (MR).
Le constat de départ était le suivant : certains bâtiments construits avant les années 50 qui ne disposaient pas à l'époque de chauffage central et d'installations sanitaires ont depuis lors fait l'objet d'améliorations qui n'ont pas été communiquées par les propriétaires. "La majorité des citoyens paient les impôts demandés, mais la base de départ était injuste, car selon l'année de construction, on a des impôts très variables", souligne le maïeur libéral.
Le courrier envoyé par Etterbeek au mois de juin 2022 rappelait donc que les articles 473 et 475 du code des impôts sur les revenus prévoient l'obligation pour les propriétaires de rentrer une déclaration spontanée portant sur les changements intervenus dans leurs biens. "Le manque d'informations récentes sur certains bâtiments engendre de réelles inégalités entre citoyens. Il apparaît donc impératif de mettre à jour la valeur du patrimoine immobilier, et ainsi de fixer plus justement les revenus cadastraux de chaque parcelle bâtie", pouvait-on encore lire dans la missive.
Les résultats ne se sont pas fait attendre. Pas moins de 64% des administrés concernés ont mis à jour leurs données à l'aide du formulaire joint au courrier. Ce qui a permis d'augmenter la recette du PRI d'un million d'euros et de compenser la baisse de 700.000 euros à l'IPP. "À ce jour, je n'ai reçu aucune lettre désagréable et aucune critique. Je pense que la démarche est inattaquable et que les gens étaient conscients qu'ils payaient trop peu", fait valoir Vincent De Wolf.
Des courriers de rappel seront bientôt envoyés aux 36% des propriétaires contactés n'ayant pas encore effectué les démarches, ce qui pourrait rapporter 600.000 euros de recettes supplémentaires. Ensuite, la commune d'Etterbeek poursuivra l'opération avec les biens certifiés en confort 1.
D'autres communes bruxelloises avaient déjà réalisé des démarches similaires il y a quelques années. C'est le cas de Bruxelles-Ville, Uccle, Molenbeek-Saint-Jean, Schaerbeek, Jette, Berchem, Evere, Auderghem et Watermael-Boitsfort.
Les plus lus
- 1 Volodymyr Zelensky se retire des discussions de paix et déplore le manque de sérieux de la Russie
- 2 L'assurance protection juridique menacée par la fin de l'avantage fiscal
- 3 Grève générale du 20 mai: voici les perturbations à prévoir ce mardi
- 4 Wegovy, le traitement anti-obésité de Novo Nordisk, vendu en Belgique à partir du 1er juillet
- 5 Pourquoi l'or s'achemine vers sa plus forte chute hebdomadaire en six mois