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interview

Paul Magnette: "MR et Engagés, sur le budget wallon, c'est 'courage, fuyons!'"

Bourgmestre sortant de Charleroi, Paul Magnette se concentre désormais sur son parti. ©Christophe De Muynck

Le président du PS juge la situation préoccupante, tant en Wallonie qu'en Fédération Wallonie-Bruxelles, où MR-Engagés aggravent le déficit.

En fin de mandat à Charleroi après douze années à la tête de la métropole, Paul Magnette tourne une page. L'homme fort du PS va maintenant se concentrer sur son parti. D'élections en élections, la gauche s'érode. La Wallonie a viré à droite. Depuis la débâcle de juin, Paul Magnette voit cependant une éclaircie et "la vague bleue se fracasser sur un mur rouge".

On le rencontre à la Chambre, un jeudi, jour de plénière. Il y siège comme député fédéral.

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Dans le dédale du Parlement, entre les boiseries nobles et les bustes des anciens Premiers ministres, les salles se succèdent. Celle prévue pour l'interview ne convient pas au président socialiste. Des sièges couverts de léopard mauve, très peu pour lui. On finit par se poser dans une salle ronde, plus classique.

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Paul Magnette pose sur la table son carnet dans lequel il a noté quelques chiffres issus des résultats des élections communales. On peut commencer.

Vous avez affirmé, le soir des élections communales: "La vague bleue s'est fracassée sur un mur rouge". Avec la perte de bastions comme Tournai, Thuin, Sambreville, Waremme... le PS n'a-t-il pas perdu les élections?

"Moins de quatre mois plus tard, on commence à se redresser. MR-Engagés ont gagné les précédentes élections, mais ils n'ont pas gagné celles-ci."

Paul Magnette
Président du PS

Entre le 9 juin et le 13 octobre, on nous a dit: le Parti socialiste n'est pas en forme, les élections communales vont le confirmer, voire même aggraver la situation. Le MR nous expliquait qu'il allait prendre toutes les grandes villes. Et on s'y est maintenus et même à certains endroits, comme à Mons ou à Charleroi, on a progressé. Si toutes les grandes villes, représentant près de deux millions de citoyens, sont dirigées par les socialistes, excusez-moi, mais alors je ne sais plus ce qu'il faut faire pour gagner les élections!

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Et si on prend les résultats des élections provinciales, qui reflètent le mieux la tendance générale, on s'améliore pratiquement partout par rapport à juin, à part dans le Brabant wallon où on perd 0,2%. J'ai été le premier à reconnaître que le 9 juin, une grande vague de droite avait balayé la Wallonie. Mais moins de quatre mois plus tard, on commence à se redresser. MR-Engagés ont gagné les précédentes élections, mais ils n'ont pas gagné celles-ci.

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Mais vous perdez des villes comme Tournai, Verviers, Tubize...

Et pas Charleroi, Liège, Seraing, La Louvière, Bruxelles, Schaerbeek, Ixelles, Saint-Gilles... Je peux vous faire une longue liste de toutes les communes dans lesquelles on est les premiers et qui sont des communes importantes. C'est vrai qu'en termes de nombre de bourgmestres, de majorités, on fait peut-être moins que d'autres.

Mais à Tournai, on est premiers. Ils n'ont pas gagné dans les urnes, ils ont gagné par une manœuvre politicienne qui a consisté à faire la coalition des perdants.

Vous avez aussi joué ce jeu dans certaines communes à Bruxelles.

"Je pense que les gens vont se rendre compte que ce virage à droite, et ce discours qui stigmatisait les assistés, les étrangers, ne va pas améliorer leur condition."

À Bruxelles, on a été confrontés au cartel MR-Engagés à la Ville de Bruxelles, à Ixelles, à Saint-Gilles et à Schaerbeek. C'est une tendance assez lourde de la recomposition politique du côté francophone, et pas seulement au niveau communal. À Saint-Gilles, où il y a une majorité PS-Écolo, on a fait une majorité PS-Écolo. Mais à Ixelles, il n'y avait pas de majorité PS-Écolo possible. C'était donc soit Écolo avec le cartel MR-Engagés, soit nous.

Historiquement, ce ne sont cependant pas de bonnes élections pour le PS.

Historiquement, on a une vraie difficulté. L'espace politique de la gauche est de plus en plus concurrentiel, alors que le MR a un boulevard: il n'y a pas d'extrême droite. Mon ambition est que le PS soit à nouveau le premier parti francophone en 2029. Mais j'ai conscience qu'on est sur un paysage politique dans lequel il y a des concurrences à gauche et au centre. Ce ne sera pas simple.

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D'autant qu'il y a une aspiration des citoyens à avoir une politique plus à droite?

Ça, j'attends de voir. Il y a eu un discours de droite sur l'assistanat, sur les étrangers. Le discours le plus banal qu'on ait jamais entendu, le même que Trump aujourd'hui, en essayant de diviser les gens en disant 'Vous êtes un travailleur à faible revenu, c'est la faute des étrangers, c'est la faute des chômeurs'… Et tout ça a porté. Je ne vais pas trop commenter la 14ᵉ note Arizona, mais quand les gens qui ont voté MR ou Les Engagés pour du changement vont voir ce qu'on leur prépare, ce sentiment d'avoir été trompé va se renforcer.

Que pensez-vous de cette "super note"?

Si c'est ça la réforme fiscale qu'on nous annonce à 10 milliards, c'est-à-dire améliorer tous les revenus supérieurs, et trois fois rien pour les gens qui ont des faibles revenus, je pense que les gens vont se rendre compte que ce virage à droite, et ce discours qui stigmatisait les assistés, les étrangers, ne va pas améliorer leur condition.

On a cependant l'impression que le combat sur le travail et le pouvoir d'achat a été perdu par le PS au profit du MR.

Et je le sentais venir. J'ai pris le temps d'écrire un livre sur le sujet, dans lequel je dis que ce qui me préoccupe, c'est cette rhétorique qui était celle de Sarkozy. Je l'entends dans les quartiers populaires. J'ai entendu des représentants syndicaux dire qu'on en fait trop pour les demandeurs d'emploi, qu'on n'en fait pas assez pour les travailleurs. Cela a très profondément percolé dans la société et cela doit nous mener à réfléchir à notre message sur la question du travail, sur la question de l'intégration de la société dans son ensemble. Je n'ai pas envie de faire une opération cosmétique du PS, d'arriver avec un changement de nom, un truc sympa, changer un peu la couleur, un nouveau logo, puis laisser tout le reste en place.

Georges-Louis Bouchez, le président du MR, a, lui, gagné sur les valeurs du travail…

Moi qui suis un rationaliste, je suis un peu désarçonné par ce nouveau monde des émotions, de la perception. Ce n'est plus qu’une question de doctrine. Il y a un vrai glissement vers la droite et tous les partis de la gauche en sont victimes. On est en recul, le PTB est en recul et pour Ecolo, c'est une déconfiture complète.

"Je suis un peu désarçonné par ce nouveau monde, ce nouveau monde des émotions, de la perception."

Au niveau wallon, vous craigniez de nouvelles taxes, une "galerie des horreurs". Ce n'est finalement pas le cas. Le gouvernement MR-Les Engagés s'attaque à la sphère publique sans pénaliser le citoyen.

Mieux que ça: ils n'ont pas fait de budget et c'est préoccupant! En réalité, ils aggravent le déficit en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles. Donc forcément, ils ne font pas d'économies. Le solde SEC (la norme européenne utilisée pour évaluer la différence entre les revenus et les dépenses publiques, NDLR) s'aggrave.

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En Wallonie, la situation se détériore de 78 millions d'euros. Et en Fédération, de 288 millions. Et on nous annonce une réforme du statut des enseignants qui va aggraver la facture de 500 millions parce que le paiement des pensions ne sera plus à charge du Fédéral.

Tout le monde sait qu'il faut faire des économies en Wallonie. On les fait où alors?

Ils ne réduisent pas les déficits. Et en plus ils reportent la responsabilité sur les autres. C'est un manque total de courage politique. Qui va devoir faire les efforts? Les communes, les TEC, les intercommunales de déchets, l'associatif... Et qui peut s'imaginer que cela n'aura pas un coût pour les citoyens?

Quand j'étais ministre-président, on a amélioré le solde SEC de plus d'un milliard sur trois ans. Avec le cdH, ex-futur Engagés. Mais on les tenait, parce que ça a toujours été les plus dépensiers. Ça a toujours été les rois du monde pour arroser de subventions.

Le gouvernement wallon, c'est beaucoup d'idéologie et de communication, comme le dit Écolo?

Non, c'est "Courage, fuyons!". Ils ne font pas le travail et le laissent aux autres. Le gouvernement wallon à réaliser 1,2 milliard d'effort d'ici la fin de la législature. 300 millions par an. Croire qu'on peut faire un effort d'une telle portée sans que ça impacte les citoyens... C'est impossible! Une très grande part du budget wallon va directement aux citoyens via les allocations familiales par exemple, ou indirectement via les subventions aux titres-services, aux APE...

À Bruxelles, certaines négociations continuent. Le PS est-il prêt à former une majorité avec le PTB dans des communes comme Schaerbeek, Forest ou Molenbeek?

Je n'ai jamais caché que ce n'était pas ma préférence. Le PTB n'a présenté que très peu de listes, sauf là où les socialistes sont forts. Leur optique, c'est nous faire concurrence. Je n'ai pas l'impression que cette philosophie puisse aboutir à beaucoup d'endroits. Molenbeek est un cas particulier: la fragmentation politique rend les choses compliquées. On a dit clairement qu'il n'était pas question de discuter avec la liste Ahidar.

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Pourquoi pas Ahidar?

Parce qu'ils ont un programme totalement communautariste sur lequel on ne peut pas s'entendre, sur lequel il n'est pas question de négocier.

Au PS, il y a des profils similaires à Ahidar comme Hasan Koyuncu, prétendant bourgmestre de Schaerbeek.

Cela n'a rien à voir. Qu'est-ce qu'on reproche à M. Koyuncu? Il n'a absolument rien plaidé de ce que plaide M. Ahidar. Je suis heurté par le procès d'intention mené sur les élus d'origine étrangère. Quand vous êtes un élu d'origine étrangère, et en particulier d'origine turque ou d'origine marocaine, vous êtes a priori suspect de ne pas respecter la laïcité. Ce n'est pas acceptable. Les statuts très clairs, c'est la primauté de la loi civile sur la loi religieuse ou sur la question du port convictionnel dans les écoles. Contrairement au PTB, il est hors de question pour nous qu'un enfant porte des signes religieux.

La formation du gouvernement bruxellois est bloquée. Notamment parce que PS, MR et Les Engagés ont tordu le bras à Groen. Erreur?

J'entends dire que M. Leisther et Mme Van den Brandt rediscutent. Je leur souhaite d'en sortir. On ne peut pas faire un gouvernement qui n'ait pas de majorité dans le groupe néerlandophone. Qu'il faille un jour discuter d'une remise à plat des règles, oui, mais les règles étant ce qu'elles sont, il faut les respecter. Il est logique que Groen, qui est arrivé premier dans le groupe flamand, forme la majorité du côté néerlandophone. Ensuite, on met les deux ensemble, avec les francophones.

Parlez-vous encore à Conner Rousseau?

Oui, on se croise dans les escaliers. On discute. Il ne me raconte pas tous les détails de la négociation et je le comprends très bien. Mais on se parle.

Que lui dites-vous? Tu es fou?

Non, non... Ce qu'on se dit reste entre nous. Je trouve qu'ils ont bien négocié l'accord de gouvernement flamand. Maintenant, la phase suivante sera plus compliquée... Au Fédéral avec Bart De Wever comme formateur, ils sont très isolés. La N-VA et le MR s'entendent très bien. Ajoutez un pôle chrétien-démocrate qui tire très fort à droite...

Ce que contient la "super note" De Wever sur l'emploi, les pensions... C'est tout ce que le gouvernement Michel n'avait pas osé faire.

Oui, j'ai vu ça. J'entends aussi que c'est une note qui n'est pas stabilisée. Et que Vooruit avait besoin de plus d'équilibre.

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La présence du PS à la table des négociations pourrait les aider...

"Dans des circonstances normales, il n'y a pas de raison qu'on aille dans le gouvernement fédéral."

Mais bon, sur les mesures concrètes, ça semble encore très compliqué. J'attends de voir l'image complète. Et il n'y a pas que Vooruit qui a des difficultés. Les Engagés aussi. On va voir.

Une petite musique monte disant que Vooruit vous attend...

Ah bon? Je ne savais pas. Mais c'est non. Si le pays fait face à une catastrophe majeure, on ne va pas dire qu'on refuse de discuter. On l'a fait en 2020 pendant la pandémie. Mais dans des circonstances normales, il n'y a pas de raison d'aller dans le gouvernement fédéral.

Pendant la campagne, vous avez tenu des propos qualifiés de stigmatisants contre les patrons. Vous regrettez?

J'expliquais simplement que la stratégie de la droite consiste à dire aux gens que s'ils travaillent et ont de faibles revenus, c'est à cause de l'étranger et du chômeur. C'est faux, c'est avant tout parce que les larges épaules ne contribuent pas assez. Voilà ce que j'ai dit. Mais ça a été simplifié et caricaturé.

Je défends les entrepreneurs, les vrais, ceux qui créent de l'emploi, de l'activité économique. Je suis conscient que l'immense majorité des entrepreneurs ne désirent qu'une chose, c'est faire progresser leur activité. Quelques grands groupes multinationaux font tout pour échapper à l'impôt et ce sont les PME qui payent 20% d'impôt des sociétés.

Vous avez un calendrier pour la rénovation du PS?

Pour le moment, je consulte. On doit se mettre d'accord sur une méthode, un calendrier et aussi sur le périmètre de ce qu'on décide. Le programme, le nom, le logo, la couleur? La plupart des gens avec qui j'en ai parlé jusqu'ici sont plutôt partisans d'un exercice très large. Ça ne veut pas dire qu'on remet tout en cause. On se pose des questions sur tout. Et on redéfinit.

Qu'est ce qui vous motive encore aujourd'hui en politique?

Phrases clés

-"Mon ambition est que le PS soit à nouveau le premier parti francophone en 2029. Mais j’ai conscience qu'on est sur un paysage politique dans lequel il y a des concurrences à gauche et au centre. Ce ne sera pas simple."

-"Je ne vais pas trop commenter la 14ᵉ note Arizona, mais quand les gens qui ont voté MR ou Engagés pour du changement vont voir ce qu'on leur prépare, ce sentiment d'avoir été trompé va se renforcer."

-"En Wallonie, ils ne réduisent pas les déficits. Et en plus, ils reportent la responsabilité sur les autres. C'est un manque total de courage politique."

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-"Ce que je vois pour le moment, c'est une remise en cause d'à peu près tous les droits des travailleurs. Plus une réforme fiscale qui ne privilégie pas du tout les bas et moyens salaires."

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