Cela se présente un peu comme un mariage. Au début, tout est rose, les attentes sont alignées et la confiance règne. Mais au fil du temps, des tensions sont susceptibles de se créer, des imprévus peuvent surgir... et l’idylle peut tourner au vinaigre.
Et comme dans toute relation, c’est à ce moment-là qu’un cadre clair ou des précautions prises dès le départ peuvent faire toute la différence, du moins si vous ne parvenez pas à trouver un terrain d’entente.
Aussi décalée puisse-t-elle paraître, cette métaphore trouve pourtant une résonance bien réelle dans le contexte actuel, à l’heure où les États-Unis ont récemment modifié, de manière unilatérale et imprévisible, leur politique douanière...
"Les hausses de taxes douanières ne sont pas considérées comme un risque assurable."
De fait, les mesures touchent non seulement les taxes à l’importation, mais aussi les chaînes d’approvisionnement et les relations commerciales, cela avec des répercussions immédiates pour les entreprises belges (baisse de demandes, hausse des coûts et retards de livraison, comme l’a mentionné, jeudi, la ministre des Classes moyennes, des Indépendants et des PME, Eléonore Simonet (MR), sur LinkedIn).
Comment, dès lors, se prémunir contre ce type de risque dans le cadre de vos relations commerciales, que ce soit avec un fournisseur, un client ou tout autre partenaire établi à l’étranger? En compagnie de spécialistes, nous faisons le point.
1/ Pouvez-vous vous assurer contre des taxes?
Avec la montée des tensions géopolitiques, de nombreuses entreprises cherchent à se protéger contre les risques qui en découlent. Néanmoins, celles qui envisageraient de se tourner vers une assurance pourraient vite déchanter: "Les hausses de taxes douanières ne sont pas considérées comme un risque assurable", nous explique Barbara Van Speybroeck, directrice de la communication chez Assuralia.
De fait, ces mesures unilatérales, même lorsqu’elles ont un impact direct sur les flux commerciaux, relèvent de la sphère des politiques publiques et non d’un aléa contractuel. Leur caractère global, imprévisible et non lié à une défaillance d’une partie contractante rend, dès lors, leur évaluation impossible dans le cadre d’un contrat d’assurance classique.
L'assurance-crédit prend en charge les pertes financières liées à l’impossibilité pour un client (ou parfois un fournisseur) d’honorer ses engagements contractuels.
2/ Comment sécuriser vos collaborations?
En revanche, votre entreprise dispose d’un autre levier pour sécuriser ses opérations dans le cadre de collaborations: l’assurance-crédit.
Concrètement, "cette police prend en charge les pertes financières liées à l’impossibilité pour un client (ou parfois un fournisseur) d’honorer ses engagements contractuels", ajoute Barbara Van Speybroeck. Ce type de police couvre ainsi plusieurs types de risques:
- Le défaut de paiement: par exemple, lorsqu’un client ne règle pas ses factures en raison d’une insolvabilité, d’un retard prolongé ou d’une faillite déclarée;
- La faillite d’un fournisseur, qui empêche la livraison de biens ou services convenus;
- L’insolvabilité présumée, lorsqu’un partenaire, sans procédure officielle, montre des signes manifestes de non-solvabilité;
- Les risques politiques, comme les embargos, les expropriations, les guerres ou les restrictions de transferts de fonds ou encore, les décisions administratives arbitraires qui peuvent bloquer l’exécution d’un contrat.
Outre la couverture du non-paiement pour raison politique, certaines compagnies, telles que Credendo, proposent aussi une garantie spécifique en cas de résiliation unilatérale du contrat, comme l’explique Nabil Jijakli, directeur général adjoint chez Credendo.
"Si une entreprise a engagé des frais pour mettre en œuvre un projet et que ce contrat est annulé, l’assureur-crédit pourra intervenir pour couvrir ces dépenses. Ce type de situation est pris en charge dans des polices élaborées pour des projets précis, appelées ‘single risk’", explique-t-il. "Elles couvrent à la fois le non-paiement et la résiliation".
"À côté de cela, des polices globales existent également", ajoute-t-il. Ces dernières ne visent, dans ce cas, pas un projet unique, mais permettent de couvrir plusieurs transactions dans différents pays. Le client peut ainsi fixer les montants qu’il souhaite sécuriser par destination – par exemple, 20 millions d’euros pour l’Indonésie, 50 millions pour les États-Unis, etc. – et l’assureur validera ces lignes de crédit.
Des secteurs comme le nucléaire ou le diamant peuvent ne pas être couverts. De nombreux pays sont également exclus en raison d’embargos, des sanctions internationales ou de leur historique de défauts de paiement.
3/ Quelles sont les modalités de ces assurances?
Bien évidemment, l’étendue de ces garanties dépendra toujours de l’assureur, des conditions générales et du type de contrat souscrit...
Par ailleurs, le tarif de ces polices sera généralement déterminé au cas par cas. Ce dernier dépendra du risque du pays, de la durée du contrat (les primes diffèrent selon qu’il s’agit d’un engagement de trois mois ou de deux ans), ainsi que de la solvabilité du débiteur.
Attention toutefois. Des secteurs comme le nucléaire ou le diamant peuvent ne pas être couverts. De nombreux pays sont également exclus en raison d’embargos, des sanctions internationales ou de leur historique de défauts de paiement, sans oublier qu’un assureur-crédit n’interviendra jamais si le débiteur est jugé insolvable au départ.
Autre point non négligeable: il ne sera probablement pas possible à l’heure actuelle de souscrire une assurance qui vous protège dans le cadre de vos relations avec les États-Unis. "On ne peut assurer un risque que si ce dernier n’a pas encore été réalisé", argumente Renaud Vanbergen, avocat spécialisé en droit des assurances. Toutefois, ce type de police pourrait s’avérer utile si vous engagez des collaborations dans d'autres pays.
Le principe d'imprévision est avancé lorsque des changements de circonstances rendent l'exécution d'un contrat beaucoup plus coûteuse.
4/ Quelles sont les clauses à ne pas négliger dans vos contrats?
> La force majeure et l’imprévision
Au-delà des assurances, le droit lui-même offre certains outils pour encadrer des situations exceptionnelles. Même en l’absence de clauses spécifiques, il existe deux mécanismes dits de "filet de sécurité" pour faire face à des circonstances exceptionnelles, à savoir la force majeure et l’imprévision:
- La force majeure s’appliquera lorsqu’un événement extérieur, imprévisible, insurmontable rend totalement impossible l’exécution d’un contrat;
- Le principe d'imprévision, quant à lui, est avancé lorsque des changements de circonstances rendent l'exécution d'un contrat beaucoup plus coûteuse. Il peut ainsi être invoqué pour les contrats signés à partir du 1ᵉʳ janvier 2023, pour autant que le contrat ne l'exclut pas.
Notez toutefois que si vous n’avez rien prévu dans vos contrats concernant ces deux principes, vous pourriez être amené à devoir démontrer que ce qui se présente à vous est un cas insurmontable (force majeure) ou encore, que ce cas rend l'exécution du contrat plus onéreuse (imprévision).
À l’inverse, intégrer ces mécanismes directement dans un contrat, en les définissant et en fixant les modalités d’application, permettra de donner aux parties des leviers de gestion clairs.
> La révision des prix
Contrairement aux salariés, la révision automatique des prix n'est pas une pratique courante chez les indépendants.
Toutefois, cela ne signifie pas qu'une clause de révision de prix ne peut pas être incluse dans un contrat pour vous protéger de l'instabilité géopolitique. Notez néanmoins que ces règles ne s'appliquent, entre autres, pas aux personnes exerçant une profession libérale.
> La renégociation
Enfin, en alternative à cette approche, il n'est pas rare de prévoir des mécanismes de renégociation des prix ou d'autres conditions du contrat: "Un entrepreneur peut tout à fait prévoir dans son contrat une clause qui stipule qu'à chaque date d'anniversaire, les parties s'engagent à se remettre à table pour rediscuter des conditions applicables et s'accorder sur des adaptations", explique Fabian Warzee, avocat d'affaires et fondateur du cabinet Maxwell.
Ce type de clause offre une flexibilité précieuse, notamment dans le cadre de conflits géopolitiques, permettant ainsi d'ajuster les termes du contrat.