Les maladies rares, appelées aussi maladies orphelines, ne sont pas aussi rares que leur nom le suggère: on en recense désormais plus de 6.100 dans le monde. “Pour la plupart d’entre elles, il n’existe pas encore de traitement adéquat”, rappelle Eva Schoeters, directrice de l’association-coupole Rare Diseases Belgique (RaDiOrg). Pour son fils de 13 ans, on dispose heureusement d’un traitement qui fait toute la différence.
Eva Schoeters: “En Belgique, plus d’un demi-million de personnes souffrent d’une maladie rare. Autrement dit, une pathologie dont pas plus d’une personne sur 2.000 est victime. Mais soyons francs, il existe énormément de maladies rares dont le nombre de cas connus dans notre pays ne dépasse pas quelques dizaines.”
Qu’est-ce qui caractérise ces centaines de milliers de patients confrontés à des syndromes et des pronostics vitaux très divers?
Eva Schoeters: “Ils ont presque tous parcouru un très long chemin – qui dure en moyenne plus de quatre ans – avant d’obtenir le bon diagnostic. Dans la mesure où la plupart des maladies orphelines s’accompagnent au début de symptômes vagues qui peuvent correspondre à de très nombreuses pathologies, on perd fréquemment un temps précieux. Et il n’est pas rare que les premiers traitements soient carrément contreproductifs, ce qui rend le processus de la maladie irréversible. Les maladies orphelines sont à la fois très graves et très complexes, et habituellement mortelles. Pour vous donner une idée, elles touchent des enfants dans 75% des cas, et 30% d’entre eux décèdent avant l’âge de cinq ans.”
Il ne semble pas totalement incompréhensible que la médecine et l’industrie pharmaceutique consacrent moins d’attention – et donc moins de moyens – à des maladies aussi peu fréquentes…
Eva Schoeters: “C’est vrai. Mais force est de constater que les grands groupes comme les petites entreprises pharmaceutiques sont de plus en plus attentives aux maladies rares. Les firmes pharmaceutiques ont un avantage: grâce à leur taille, elles disposent de l’expertise et des capitaux nécessaires pour mener des recherches, réunir des patients et lancer des études cliniques à l’échelle internationale. En outre, elles peinent désormais à générer une grande valeur ajoutée avec des maladies moins rares et déjà largement étudiées.”
“Il est horrible de savoir que des produits capables de vous sauver la vie existent mais qu’ils vous sont inaccessibles.”
Votre fils de 13 ans souffre d’une sclérose tubéreuse de Bourneville (STB), une maladie qui provoque l’apparition de tumeurs bénignes dans l’ensemble du corps. Quand ce diagnostic a-t-il été posé et quel est le pronostic?
Eva Schoeters: “Heureusement, mon fils a reçu ce diagnostic assez tôt, quand il avait à peine un an et demi. Certains patients atteints d’une STB ne découvrent la maladie que lorsqu’ils souffrent de saignements rénaux potentiellement mortels, alors qu’ils présentaient depuis longtemps des symptômes plus légers qui sont passés inaperçus. C’est hélas le cas pour de nombreuses maladies orphelines.”
“Nous faisons néanmoins partie des plus chanceaux: Novartis investit depuis 15 ans dans de meilleures thérapies pour des patients atteints d’une STB, grâce à quoi la maladie peut être maintenue sous contrôle. C’est plutôt exceptionnel: il n’existe aujourd’hui un traitement efficace, reconnu et accessible que pour à peine 6% des maladies rares.”
Les entreprises pharmaceutiques ont été très critiquées ces dernières années en raison des prix parfois astronomiques qu’elles demandent pour le traitement de maladies rares. Partagez-vous cette vision?
Eva Schoeters: “Il est difficile de connaître exactement la manière dont les prix sont fixés. Une transparence accrue pourrait répondre à la majorité des critiques. Les plus grandes percées proviennent souvent de petites entreprises biotechnologiques, notamment grâce aux immenses progrès réalisés dans les thérapies géniques et cellulaires. De ce fait, on voit pour la première fois de nouveaux traitements vraiment prometteurs en développement pour de nombreuses maladies orphelines. Les plus grandes entreprises pharmaceutiques travaillent sur ces percées et aiment communiquer à ce propos, mais cette médaille a son revers: de telles thérapies restent généralement impayables pour des patients individuels. Sans remboursement, beaucoup de patients n’auront pas accès à ces traitements. Il est horrible de savoir que des produits capables de vous sauver la vie existent mais qu’ils vous sont inaccessibles… On peut néanmoins espérer, à terme, une nette diminution du coût des nouvelles technologies qui permettent ces traitements révolutionnaires.”
S’il n’existe pas de traitement adéquat pour de nombreuses maladies orphelines, ce n’est pas uniquement parce que les recherches sur ces maladies génèrent trop peu de retour sur investissement. Dans l’Union européenne, les négociations avec les entreprises pharmaceutiques en vue de mettre ces médicaments potentiellement vitaux à la disposition des patients sont toujours menées au niveau des États membres, qui doivent décider chacun de la valeur ajoutée d’un produit. “Ce n’est pas efficace”, estime Eva Schoeters. “Ajoutez à cela le fait que la procédure menant au remboursement d’un traitement est relativement longue en Belgique. C’est sans doute imputable à un manque d’efficacité. Les prix élevés n’y sont évidemment pas non plus étrangers. Mais on ne peut pas nier l’évidence: en général, les nouveaux médicaments sont disponibles nettement plus tôt chez nos voisins. Bien entendu, il est aussi avéré que certaines entreprises pharmaceutiques considèrent la Belgique comme un marché difficile, notamment en raison de sa taille réduite.”