En cette période de troubles économiques et sociaux, le modèle économique de la plupart des entreprises est mis à rude épreuve. Ce n'est donc pas un hasard si nous avons choisi les thèmes de la flexibilité et de la résilience comme fil rouge dans la prochaine édition de Take The Lead. Le programme de leadership numérique de Vlerick et Mediafin en sera à sa cinquième édition au début de l'année prochaine. Stijn Viaene et Marion Debruyne (Vlerick Business School) lui donnent le coup d'envoi.
En raison de la pandémie de coronavirus, Take The Lead sera pour la première fois entièrement dématérialisé. Pour un programme qui défend aussi vigoureusement la valeur ajoutée du networking physique, n'était-ce pas un défi?
Stijn Viaene: La fin justifie les moyens, bien sûr. Mais en réalité, dès la première version de TTL, nous avions choisi de repousser autant que possible les limites de ce qui est numériquement faisable pour les trajectoires d'apprentissage. Sur la base de ce principe, nous avons cherché la combinaison la plus efficace du virtuel et de la dimension physique la plus impactante.
Ce n’est bien sûr pas possible pour le moment; pourtant, ces derniers mois, nous avons étudié les façons de transposer la dimension sociale des moments “physiques” dans notre offre virtuelle. Et les premiers retours sont positifs. Lors de la précédente édition du TTL, nous avions déjà dû organiser le hackathon – qui a rassemblé plus de 150 participants en une seule session – en mode numérique, et ce fut un succès.
Nous avons massivement travaillé et étudié en ligne ces derniers mois, et un vaste éventail de webinaires et de cours en ligne est désormais disponible. Comment Take The Lead peut-il se différencier au milieu de cette offre gigantesque?
Stijn Viaene: Cette formation est d'un tout autre ordre, à mes yeux. Il s'agit d'un parcours d'apprentissage complet, sur plusieurs semaines, avec un scénario clair et très construit.
Marion Debruyne: Dès la première édition, nous avons opté pour un programme d'apprentissage presque intégralement en ligne. Le programme s'articulant autour du leadership numérique, il serait incohérent de ne pas croire pleinement aux aspects enrichissants d'un tel parcours numérique – tant dans la forme que dans le contenu. Bien sûr, lorsqu’on parle de leadership numérique, on ne recherche pas seulement une sorte de réplique digitale du monde physique. On peut s’attendre à ce que les leaders numériques s'intéressent aux nouvelles possibilités offertes par le monde digital. Les participants au programme doivent donc se poser cette question et transposer les réponses au sein de leur propre organisation.
Quelle valeur ajoutée une telle formation peut-elle apporter, en plus de l'environnement d'apprentissage numérique dans lequel nous évoluons tous aujourd'hui?
Stijn Viaene: Nous sous-estimons encore systématiquement l'impact du contexte numérique sur les aspects les plus divers d'un environnement d'apprentissage. Par exemple: quelle quantité de contenu un étudiant peut-il gérer s'il doit le faire numériquement? Et comment proposer ce contenu de la façon la plus efficace?
Concrètement, je parle du découpage de ce contenu d'apprentissage et de la nécessité d'apporter une variété accrue dans la proposition d'apprentissage. Ou de la valeur ajoutée du peer learning, par exemple. On a nettement moins de contrôle sur les circonstances dans lesquelles l'étudiant acquiert et traite la matière: il faut garder ce constat à l'esprit lorsqu'on conçoit l'offre.
C'est précisément dans ce domaine que nos écoles et universités n'ont pas obtenu de bons résultats au cours des derniers mois…
Marion Debruyne: Il convient d'opérer une distinction entre la transition extrêmement rapide que la plupart des établissements d'enseignement traditionnels ont dû traverser récemment, et un programme tel que Take The Lead. Celui-ci a été d’emblée conçu en mode numérique. Mais ce que dit Stijn est bien sûr vrai: dans une conception 100% numérique soigneusement construite, il faut aussi tenir compte d'un certain nombre d'autres dimensions. Et heureusement, nous jouissons de quelques années d'expérience en la matière.
Peut-on considérer Take The Lead comme une sorte de préliminaire à une trajectoire de croissance numérique dont le monde des affaires dans son ensemble peut encore tirer des enseignements?
Stijn Viaene: Absolument, et cela s'est d'ailleurs déjà produit. Des entreprises ont décidé, après qu'un certain nombre de salariés ont suivi la formation, de mettre en place quelque chose de similaire en interne.
Les éditions précédentes ont mis l'accent sur la flexibilité. Or, bon nombre d'entreprises sont davantage en mode “survie” que sur une véritable trajectoire de croissance. Comment transposer ce changement de contexte dans la formation?
Stijn Viaene: Cette pandémie fait souffler un vent nouveau sur nos activités, c'est vrai. Mais en même temps, les principes de base de ce programme restent valables. Les entreprises ne doivent pas seulement survivre: elles doivent être aptes à tirer leur épingle du jeu dans des circonstances qui évoluent à toute vitesse. En ces temps particulièrement troublés, le moment est venu de s'asseoir pour réfléchir. Bien sûr, ces dernières années, l'accent a surtout été placé sur cette résilience – une approche offensive – alors que de nombreuses entreprises adoptent désormais une attitude défensive.
C'est pourquoi le programme de cette année concentre aussi l'attention sur la résilience: comment remonter sur le ring après avoir pris une raclée? Cela étant dit, on ne peut pas non plus se focaliser sur la seule résilience. Il faut d'abord se remettre sur pied, bien sûr, mais ensuite, il faut pouvoir rebondir. Ces deux aspects sont largement traités dans le programme, selon une trame agréable et élaborée avec soin.
Marion Debruyne: Je pense que c'est la combinaison de ces deux dimensions qui nous indiquera la direction à suivre au lendemain de cette pandémie. Les entreprises ne doivent pas avoir l'ambition de revenir à ce qu'elles étaient autrefois, il n’y aura pas de back to normal. Elles doivent oser placer la barre beaucoup plus haut et ailleurs.
On remarque un certain scepticisme à ce sujet. Ne reviendrons-nous pas très vite au business as usual, ne serait-ce que par nécessité financière?
Stijn Viaene: Je voudrais nuancer cette vision. Quand exactement allons-nous revenir à la normale? Tout d'abord, la pandémie est loin d'être derrière nous. Et puis, si l’on regarde un peu plus loin, comment faire face à l'impact du Brexit? Et qu'en est-il de la révolution verte, vitale, que l’on dit imminente? Je crains que nous ne puissions jamais revenir à l'époque où chaque nouvelle année se révélait plus ou moins une copie de la précédente.
L'anormalité devra être intégrée dans la nouvelle norme, et les entreprises se montrer capables de réagir en permanence aux nouvelles évolutions, parfois très inattendues. L'improvisation deviendra un élément fondamental des compétences de leadership, et nous y prêterons attention dans cette édition.
Aurons-nous également besoin d'un autre type de leadership dans les années à venir?
Marion Debruyne: L'idée que n'importe qui puisse effectivement assumer ce rôle de direction, et ce, quelle que soit sa position dans la hiérarchie d'une entreprise, a toujours été le point de départ de la formation TTL. Nous plaidons donc résolument en faveur d'un leadership partagé et souhaitons nous éloigner du stéréotype du modèle topdown. Car alors, et à plus forte raison dans un contexte qui change extrêmement vite, on se heurte rapidement à ses limites. Aujourd'hui, au sein de chaque entreprise, on a besoin de personnes capables de trouver des idées à tous les postes. Des gens qui osent expérimenter et remettre les choses en question.
Vous attendez-vous à ce que des participants qui nourrissent des attentes différentes entrent malgré tout dans ce programme?
Stijn Viaene: À mon avis, oui. La demande de bons exemples pratiques permettant d'introduire avec succès cette agilité et cette résilience dans une entreprise va probablement augmenter. Mais nous comptons aussi sur la contribution des participants eux-mêmes.
Ce faisant, nous restons fidèles à la philosophie qui nous anime depuis la première édition: ce programme n'est pas un free lunch, les participants doivent être préparés à y investir beaucoup de leur temps. Et c'est exactement ce que nous attendons des leaders en 2020: ils doivent être prêts à contribuer à l'avenir de leur entreprise. Chacun, quelle que soit sa fonction, peut relever ce défi.
Qu’est-ce qui distingue un leader numérique d’un leader traditionnel?
Marion Debruyne: Un véritable leader numérique doit avant tout reconnaître que la transformation digitale va bien au-delà du basculement superficiel au numérique que la plupart des entreprises ont été contraintes d’accomplir ces derniers mois. La stratégie numérique ne peut plus s'inscrire en parallèle de la stratégie globale de l'entreprise: le numérique est indispensable à tout processus opérationnel.
Stijn Viaene: Comment votre entreprise peut-elle remporter des succès avec la technologie et avec les individus? C’est une conviction qu’il faut savoir communiquer à l’ensemble de l’organisation. L'idée selon laquelle nous utiliserons une certaine technologie par petites touches – là où c'est vraiment nécessaire – pour assister l’humain n'a plus aucun sens.
Les véritables leaders numériques tracent la trajectoire future sur laquelle leur entreprise fera la différence avec et grâce à la technologie. En outre, les leaders numériques doivent mettre les pieds dans le plat: pour la plupart des gens, le changement technologique demeure un horizon lointain. Les leaders numériques doivent donc oser expérimenter. Ce faisant, ils se heurteront à certaines limites – par exemple, s'il est prématuré d'introduire une certaine technologie – mais l'essentiel est de continuer à essayer et à repousser les limites.
Par le passé, la technologie était principalement considérée comme une dimension à externaliser ou à déléguer autant que possible. Ce n'est plus viable aujourd'hui. Les managers qui osent se lancer dans cette aventure seront les grands gagnants sur le long terme. Notre rôle est de mettre ces personnes sur la bonne voie.