Avec sa Rêve Party, le pianiste Julien Brocal veut capter l'instant
Pépinière de musiciens du centre-ville de Bruxelles, le Jardin musical propose un second festival pour capter l'instant poétique et lance son propre label de disques. Une proposition classique alternative.
Arcadi Volodos, le grand pianiste russe, nous l'avait déjà dit naguère: la musique classique a besoin du silence, mais dans un monde épris de frénésie, le silence a disparu. Or, c'est ce qui frappe sous la charpente dix-huitième du Jardin musical, coincé dans la petite rue du nom de Jésus, entre les allées et venues incessantes de la Place du marché au poisson et la rue de Flandre, au centre de Bruxelles. On n'entend rien, sinon le verbe mélodieux de Julien Brocal, qui a interrompu sa "Berceuse" de Chopin, qu'il travaille en ce moment sur son grand Steinway de concert, pour nous présenter la deuxième "Rêve Party" du Jardin musical.
Un festival de 3 jours, du 22 au 24 novembre, qui prendra ses aises au rez-de-chaussée du même lieu, assez large pour accueillir 200 mélomanes et qui deviendra peut-être un jour un véritable café culturel si le pianiste français trouve les 250.000 euros nécessaires à sa transformation et un partenaire commercial pour le bar et la petite restauration.
Pour l'heure, Julien Brocal y donne carte blanche aux artistes auxquels il croit, comme ses amis de la classe de Maria João Pires à la Chapelle musicale Reine Elisabeth: Julien Libeer, qui donnera un avant-goût de son intégrale Ravel en préparation (23/11), et Nathanaël Gouin, qui jouera ses propres compositions et les "Tableaux d'une exposition" de Moussorgski (24/11). Beaucoup de piano, à moins d'un an du Concours Reine Elisabeth, avec encore Fanny Azzuro, Antoine Préat, Jean-Baptiste Doulcet ou Pierre Solot.
De la musique de chambre aussi avec le Trio Zadig, et puis de l'inattendu avec une "whisper hour" aux chandelles, le 23 novembre, à 21h30. "On a donné carte blanche au pianiste classique Ismaël Margain, qui est aussi un improvisateur jazz hors pair (il joue du saxophone, de la flûte traversière...), et à l'altiste Nina Tonji, repérée par le célèbre arrangeur britannique Jacob Collier, qui a une voix de dingue pour le jazz! C'est la première fois qu'ils jouent ensemble et on va voir ce qu'il se passe", s'enthousiasme Julien Brocal, qui précise qu'Ismaël Margain proposera aussi, avec sa femme comédienne, un programme "famille" autour de la sœur de Mozart.
Nouveau label
Cette seconde "Rêve Party" est aussi l'occasion pour Julien Brocal de lancer le nouveau label du Jardin musical, avec un premier album, "Here", insérant quelques pièces de Philip Glass entre ses propres improvisations, enregistrées aux États-Unis, en Angleterre et ici, à Bruxelles, et qu'il jouera live pour ouvrir le festival, le 22 novembre (il les donnera aussi, le 19, au Palais des Beaux-Arts de Charleroi).
"C'est ça l'idée pour le développement de notre label: tout est toujours branché pour pouvoir capter l'instant et enraciner l'inattendu."
"Si j'ai envie de me mettre au piano, il y a toujours des micros qui traînent... Ici, au Jardin musical, c'est ça l'idée pour le développement de notre label: tout est toujours branché pour pouvoir capter l'instant et enraciner l'inattendu. Et peut-être que va se produire l'un de ces moments d'alignement et de connexion qui t'échappent un peu. Un instant magique où tu te dis que quelque chose s'est emparé de tes doigts et te mène quelque part sans que tu aies besoin d'interférer."
À micros ouverts
L'espace sous charpente est en effet aussi un studio audio et vidéo professionnel qui peut être loué à des musiciens ou à des labels pour l'enregistrement de leurs disques, en marge des productions propres du Jardin musical, assurant sa viabilité. Mais toujours avec cette même envie d'amener les artistes à une forme de contemplation qui les conduise à produire autre chose que de l'attendu ou du formaté.
"Le fait que je ne vive plus ici à plein temps laisse énormément de place pour d'autres artistes qui peuvent loger au Jardin musical. Ils sont rares les studios où on peut rester dans la même pièce et jouer à n'importe quelle heure du jour et de la nuit, en fonction de l'inspiration. C'est recréer une forme d'autonomie dans la créativité et si quelque chose te vient, rien ne vient t'empêcher de le capturer."
L'improvisation libre
Et c'est exactement la même démarche que se sont appliqués Julien Brocal et la violoncelliste franco-belge Camille Thomas pour leur nouvel enregistrement, après le succès de leur album "The Chopin Project", et qui sortira en avril 2025, à nouveau chez Deutsche Grammophon (Universal). Il s'agit de mettre en miroir un tube classique avec une composition du pianiste qui s'en inspire...
"Quand je suis arrivé dans le Montana, je me suis senti tout de suite senti en harmonie avec la nature environnante."
L'enregistrement a eu lieu au Tippet Rise Art Center, planté dans les montagnes du Montana, institution qui soutient notre pianiste depuis ses débuts. "Pour ce projet avec Camille, il y a eu zéro minute de temps de piano pour préparer l'enregistrement. Mais quand je suis arrivé là-bas, je me suis senti tout de suite en harmonie avec la nature environnante. Je me suis mis au piano en commençant par le premier prélude de Bach. Pour son reflet, un rythme en 7/8 est arrivé naturellement sous mes doigts, créant un flottement, puis j'ai déroulé cela, en imaginant où Camille pourrait entrer avec son violoncelle. À 5 heures du matin, j'avais fini l'écriture de la partie piano."
Camille Thomas est ensuite arrivée de l'autre côté du globe, exténuée et sans attentes particulières, sinon celle d'improviser avec Julien, chose qu'ils n'avaient encore jamais tentée à deux. À entendre les premières notes du master, dans la cabine d'enregistrement du Jardin musical, c'est une effusion qui arrive par flots, traduisant davantage qu'une parfaite complicité. Une rencontre magique, captée dans l'instant.
Festival classique
Rêve Party #2
Avec Julien Brocal, Antoine Préat, Trio Zadig, Julien Libeer, Tonji & Margain, Fanny Azzuro, Pierre Solot, Nathanaël Gouin et Jean-Baptiste Doulcet
Direction artistique: Julien Brocal
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