Le site d'Audi Brussels, une usine enclavée d'une valeur éminemment variable
Bien que, par tact social, les politiques s'y refusent, envisager la fermeture d'Audi Brussels et explorer des pistes pour l'avenir du site est un exercice utile: mieux vaut prévenir...
Si le constructeur automobile allemand Audi ferme son usine de Forest l'an prochain et qu'aucun repreneur ne se manifeste, qu'adviendra-t-il des quelque 54 hectares de terrains et bâtiments qu'il y exploite? Cette interrogation vient tôt dans le débat, puisque le sort du site n'est pas encore scellé; elle mérite néanmoins un examen, parce que si le pire des scénarios se réalise, il vaudra mieux avoir pris les devants. Sous peine de se laisser surprendre et d'éventuellement bâcler la réflexion sur sa future reconversion.
Sur d'autres grands sites industriels, on a vu, dans un passé récent, ce que cela coûte d'engager une reconversion sur une mauvaise voie. On songe notamment à Caterpillar à Gosselies, où les autorités publiques ont peut-être vu d'emblée trop grand après le départ du groupe américain en cherchant à y relocaliser peu d'opérateurs, mais occupant un maximum d'espaces.
Audi, seul propriétaire
Audi Brussels occupe quelque 540.000 m2, en ce compris les 7,5 hectares qui hébergent l'Automotive Park, ses principaux sous-traitants. Le plus gros de ces espaces se trouve sur la commune de Forest, où il représente environ 10% du territoire communal; quelques parcelles non bâties sont situées sur la commune de Drogenbos.
"L'ensemble du site appartient à Audi Brussels", nous dit Peter D'hoore, porte-parole du constructeur. En 2011, quatre ans après avoir repris le site des mains de Volkswagen, Audi Brussels avait créé une filiale, Audi Brussels Property, dans laquelle le constructeur avait transféré ses terrains et bâtiments. Cette année-là, la valeur de ceux-ci avait été estimée à quelque 99 millions d'euros.
La filière immobilière a opéré jusqu'en 2019. Chaque année, elle facturait pour quelque 26 millions d'euros de loyer à sa maison mère. En 2019, celle-ci a changé ses plans et a absorbé cette filiale. Audi Brussels a donc repris la propriété du site en direct. En 2011, l'objectif de la scission était de "permettre une meilleure gestion et une plus grande flexibilité à l'égard du parc immobilier". Huit ans plus tard, la déconstruction de la filiale a été justifiée par un souci de "simplification administrative"...
Dans les négociations de fermeture engagées avec les pouvoirs publics, on sait que la valeur des méga-sites industriels est éminemment relative.
Des précédents à un euro
En 2019, au moment de la fusion par absorption de la filiale, les terrains et constructions du site étaient évalués à 149 millions d'euros dans les comptes, et ce après amortissements et réduction de valeur pour 236 millions. Il fallait y ajouter pour 13 millions d'euros d'installations, machines et outillage (valeur d'acquisition: 107 millions). On notera aussi que cette année-là, la filiale avait enregistré pour 15,9 millions d'euros de provisions pour l'assainissement du sol: un montant renouvelé à peu près chaque année.
Ces divers éléments donnent quelques pistes pour évaluer la valeur de l'ensemble. Mais dans les négociations de fermeture engagées avec les pouvoirs publics, on sait que la valeur des méga-sites industriels est éminemment relative. Sa détermination s'intègre dans une discussion globale incluant aussi les aides publiques passées, l'éventuelle dépollution des sols à venir, ainsi que d'autres engagements.
C'est ainsi que la Région flamande a repris le site de Ford Genk pour un euro symbolique en 2013 (pour la fermeture actée en 2014) ou encore que la Région wallonne a racheté, également pour un euro, les 93 hectares occupés par Caterpillar à Gosselies en 2017-18. Dans le cas de General Motors à Anvers, en 2010, il en est allé autrement: le Port d'Anvers avait finalement repris les 90 hectares de l'usine située en zone portuaire pour quelque 43 millions d'euros: une somme certes, mais à peine la moitié environ de ce que demandait GM au départ.
"Sur des sites d'une telle importance, une commune réfléchit toujours à une mixité de fonctions."
L'après-Audi est encore tabou
Du côté des différents cabinets politiques, administrations et autres têtes pensantes contactées, on se montre avare en commentaires. Et pour cause, on ne veut pas donner l'impression qu'on prépare déjà l'après-Audi Brussels, au mépris d'un soutien aux travailleurs. "Aujourd'hui, la priorité va au maintien de l'emploi", résume le socialiste Charles Spapens, premier échevin forestois, en charge de la planification urbaine. Seul commentaire supplémentaire: "Sur des sites d'une telle importance, une commune réfléchit toujours à une mixité de fonctions."
Chez le ministre-président bruxellois Rudi Vervoort (PS), on dit ne pas vouloir spéculer sur l’avenir du site sans information officielle en provenance d’Audi. “S’il devait s’avérer que l’occupation actuelle n’est pas prolongée, il est évident qu’une part aussi importante du territoire ferait l’objet d’une étude précise et d’une programmation particulière”, nous dit sa porte-parole.
Au-delà de ces commentaires prudents, certains soulèvent anonymement quelques réflexions. On entend ainsi à plusieurs sources que la Région bruxelloise manque de terrains industriels. C’est, par exemple, pour cette raison que le chocolatier Leonidas avait annoncé, en 2022, quitter Bruxelles pour Nivelles, faute de superficie suffisante dans la capitale.
Au-delà de ce constat général, le site d’Audi Brussels, logé le long des voies ferrées, dispose d’un accès au chemin de fer, nous indique-t-on encore. Un atout qui appelle le maintien, au moins partiel, d’une activité industrielle et / ou logistique.
Quel habitat?
Rendre le terrain plus mixte en y intégrant de l’habitat pourrait-il faire sens économiquement? S’il n’est pas impossible que ce choix puisse favoriser les finances publiques en général, il n’est pas dit qu’un nouveau quartier à cet endroit attirerait des habitants avec des revenus significatifs et payant des impôts régionaux et communaux élevés. De plus, des habitants supplémentaires impliquent des coûts additionnels pour la collectivité via des services publics à créer, qu’il s’agisse d’écoles, de crèches, de transports en commun ou de ramassage des poubelles.
Reste à voir si, le cas échéant, la Région bruxelloise pourrait racheter le site malgré l’état désastreux de ses finances publiques. À un euro ou à "x" millions? Quoi qu'il en soit, malgré la crise du logement actuelle, faire du 100% résidentiel ne semble pas être la voie privilégiée par les acteurs qui ont répondu à nos questions. Ces dernières années, l’exécutif a, au contraire, pris différentes mesures pour que certains quartiers stratégiques ne soient plus monofonctionnels, mais proposent progressivement plus de diversité dans les usages et services proposés.
Rachat ou pas, la Région aura bel et bien la main sur la programmation territoriale via le Plan régional d’affectation du sol (PRAS) qui est en cours de refonte. La partie "diagnostic et besoins" a été réalisée, lors de la dernière législature, par l’administration. Le prochain gouvernement devra continuer l’exercice et définir les prescriptions pour chaque type de zone (habitat, mixte, industrie…) et préciser, à l’échelle de chaque parcelle, quelle fonction prévaut à quel endroit. Actuellement, le site d'Audi Brussels est affecté en zone d'industrie urbaine où, sauf prescription particulière, seule une activité productive, logistique ou de traitement de l'eau ou des déchets peut se trouver.
- Si Audi ferme son usine de Forest l'an prochain, des repreneurs chinois pourraient se montrer intéressés, alors que l'UE se montre de plus en plus protectionniste.
- S'il n'y a pas de repreneurs, qu'adviendra-t-il des quelque 54 hectares de terrains et bâtiments qu'il y exploite?
- Sur d'autres grands sites industriels, on a vu ce que cela coûte d'engager une reconversion sur une mauvaise voie; on songe notamment à Caterpillar à Gosselies.
- Les responsables politiques concernés à la commune et la Région préfèrent éviter le sujet pour le moment, mais concèdent que la réflexion envisagera une mixité de fonctions.
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