Fluxys prévoit d'investir près de 6 milliards d’euros en Belgique d’ici 2033
Le gestionnaire d’infrastructures gazières double son plan d'investissement à l'horizon 2033, principalement pour construire son réseau de CO2 et d'hydrogène. "Il faut oser prendre une première décision d'investissement", déclare le CEO Pascal De Buck.
Deux ans après la crise énergétique qui l'aura mené à renforcer ses conduites de gaz et à rediriger ses flux pour venir au secours d'une Allemagne privée de gaz russe, Fluxys peut enfin pleinement se consacrer à son réseau du futur.
Dessiné depuis des années en coulisses, il doit accompagner la transition énergétique du pays, de son industrie, et permettre à Fluxys de s'adapter. D'ici 2030, son ambition est de développer une capacité de transport de 30 TWh d'hydrogène et de 30 millions de tonnes de CO2 par an, à travers deux nouveaux réseaux, baptisés "dorsales" (backbones).
Conscient d’être à un tournant, Pascal De Buck, CEO du groupe et de sa branche cotée en bourse Fluxys Belgium , mise sur la diversification technologique et géographique pour éviter de trop s’exposer. "L'efficacité énergétique, l'électrification, l'hydrogène, la capture et le stockage du CO2, le biogaz, le gaz naturel... chacun a un rôle à jouer", nous confie-t-il, alors qu'il nous reçoit dans son bureau, temporairement relocalisé à deux pas de la gare centrale de Bruxelles, derrière le quartier général flambant neuf de BNP Paribas Fortis. "Nous voulons que notre infrastructure soit utilisée pour le gaz, mais aussi pour le CO2, l'hydrogène et d'autres molécules comme l'ammoniac, par exemple", expose-t-il.
"D'ici la fin de l'année, ou au plus tard début 2025, j'ai l'ambition de prendre une première décision d'investissement."
Sauf que démarrer un réseau pour des molécules dont la demande future est encore sujette à spéculations est un exercice de haute voltige. Raison pour laquelle les décisions finales d'investissements se font attendre. Le paradoxe de l'œuf ou la poule résume bien le dilemme avec lequel doit composer De Buck, alors qu'il annonce un plan d'investissement à 5,9 milliards d'ici à 2033, dont près de 80% seront dédiés aux premières pierres des deux nouvelles dorsales.
Votre plan est deux fois plus important que le précédent (2023-2032)…
Oui, notre ambition et le marché croissent. Ce n'est pas seulement dû à l'inflation. L'ampleur de nos plans a augmenté. La place grandissante du CO2 dans les solutions attendues suppose beaucoup d'investissements supplémentaires. Les 5,9 milliards incluent uniquement les investissements en Belgique. Si nous participons par exemple au projet de conduite de CO2 avec Equinor vers la Norvège – ce que je souhaite –, il faudra le rajouter.
Le marché de l'hydrogène peine à décoller. Le régulateur (Creg) a déjà averti que vous risquiez de construire des pipelines pour lesquels la demande ne sera pas suffisante au début. Faut-il temporiser?
Je constate que le contexte économique fait que certaines industries réfléchissent à deux fois avant de prendre une décision d'investissement. Ce n'est pas à nous de déterminer la vitesse à laquelle cela doit aller. Mais je pense qu'à un certain moment, il faut briser le paradoxe de l'œuf ou de la poule et faire un premier investissement proactif dans l'infrastructure.
Quand comptez-vous commencer ?
Plusieurs projets industriels sont en cours de développement. Il y a Hyoffwind à Zeebruges pour la production d'hydrogène vert, d’autres pour l'hydrogène issu de processus chimiques, des initiatives autour de la capture du CO2 et pour l'hydrogène bleu (fabriqué à partir de gaz naturel avec capture du CO2, NDLR.). D'ici la fin de l'année, ou au plus tard début 2025, j'ai l'ambition de prendre une première décision d'investissement. Les permis ont été lancés pour les premières canalisations dans les zones portuaires d'Anvers et Gand. Nous verrons dans les prochaines semaines si nous posons également une conduite pour le CO2 simultanément.
Pouvez-vous commencer sans garantie de contrats d'achat ou de revenus assurés par le gouvernement?
La décision finale d’investissement appartient au conseil d'administration, mais cet axe Anvers-Gand est crucial pour l'hydrogène et le CO2, et serait une première étape logique. Bien sûr, vous ne pouvez pas développer toute la région sans être couvert. Il est nécessaire d’avoir des contrats ou des revenus régulés. En Allemagne, le gouvernement a introduit un mécanisme qui garantit un flux de trésorerie et un rendement même lorsqu'il y a peu de volume qui circule dans les pipelines au début.
Aimeriez-vous bénéficier d'un mécanisme similaire?
C'est une possibilité. Nous avons un subside de 95 millions d'euros pour réaliser un premier investissement en hydrogène. Ensuite, nous devrons voir comment développer les prochaines étapes en fonction du marché ou d'autres mécanismes.
L'hydrogène bleu, fabriqué à partir de gaz naturel avec capture de CO2, est exclu de ce que l'Europe considère comme molécules renouvelables. Est-ce un problème?
Pour l'industrie, il est crucial qu'il y ait suffisamment de molécules bas-carbone disponibles à des prix compétitifs. Si cet hydrogène doit également être vert (produit à partir d’électricité renouvelable, NDLR), cela devient beaucoup moins évident à court terme, parce qu'il est encore beaucoup plus cher que le bleu. Si nous excluons l'hydrogène bleu, nous nous privons d’une solution moins coûteuse et plus facilement disponible à grande échelle.
L'hydrogène bleu convient bien à Fluxys. Il combine le besoin d’un réseau pour le gaz, un pour l’hydrogène et un autre pour le CO2 capturé…
Ce n'est pas Fluxys qui déterminera comment le marché évoluera. Si une solution nous convient, mais pas au marché, il faudra l’oublier. Le gouvernement et la technologie joueront aussi un rôle important.
Ne prêchez-vous pas pour votre chapelle en plaidant à la fois pour le maintien des gazoducs et en en construisant de nouveaux pour l'hydrogène et le CO2?
Il faudra une combinaison de tout. Sinon, nous n'y arriverons pas. Il est crucial d'adopter une approche holistique qui considère l'ensemble du système et n'exclut aucune solution.
"La priorité principale reste l'Europe, mais nous avons prévu un montant de quelques centaines de millions d'euros que nous pouvons consacrer à l'expansion dans d'autres parties du monde."
Il n'y a pas encore de projet de capture carbone lancé en Belgique. Y aura-t-il suffisamment de CO2 pour vos pipelines?
Je suis convaincu que la chaîne du CO2 doit voir le jour. Certaines industries n'ont pas d'autre choix que de capturer leurs émissions. Quelle serait l'alternative? Chasser toutes les industries du ciment, de la chaux et certaines industries pétrochimiques ailleurs, où elles continueront d'émettre du CO2? Nous ne pouvons pas nous passer de la capture et du stockage du CO2. La question est de savoir dans quelle mesure et à quel moment. Il faut intégrer toute la chaîne de capture, de transport et de stockage dans un cadre économique acceptable, mais nous serons prêts à temps.
Fluxys a-t-il besoin de capitaux frais pour financer les investissements à venir?
Selon les plans actuellement sur la table, nous n'avons pas besoin d'une augmentation de capital, mais nous ne pouvons rien exclure. Il y a encore trop d'incertitudes pour donner une réponse certaine.
Les communes belges sont vos principaux actionnaires (via Publigaz, 77, 4%). Est-ce encore cohérent au vu des récentes expansions au Brésil, au Chili et même à Oman?
Nous devons bien sûr veiller à ce que cela reste gérable, mais il n'est certainement pas prévu que nous laissions de côté l'Amérique latine, au contraire. La priorité reste l'Europe, mais nous avons prévu de consacrer des moyens à l'expansion dans d'autres parties du monde. Je ne vais pas cacher que nous suivons de près les Amériques, et que nous sommes en discussion au Maroc.
Comme pour l'investissement récent dans le réseau gazier à Oman?
Cette participation ouvre des portes. Nous sommes en pourparlers avec les Omanais pour le développement d'un réseau d'hydrogène. Deme (spécialiste de l'ingénierie marine belge, NDLR) a conclu un beau contrat là-bas autour de l'hydrogène vert. S'il venait, par exemple, à développer un terminal d'exportation sur place, il serait plus facile d'essayer de faire en sorte que ces molécules affluent vers notre infrastructure plutôt que vers un terminal d'importation aux Pays-Bas, en France ou en Espagne. Il n'y a pas de garanties, mais cela offre un levier.
Allez-vous encore investir dans les infrastructures classiques de gaz naturel?
Le gaz naturel restera très important dans le système énergétique pendant un certain temps. Vu la situation géopolitique actuelle, le GNL (gaz naturel liquéfié, NDLR) restera crucial pendant de nombreuses années pour la sécurité d'approvisionnement de l'Europe. Mais il est important que les nouvelles infrastructures soient pensées pour passer, à terme, à l'hydrogène, comme le récent pipeline entre Desteldonk (Gand) et Opwijk (Brabant flamand). Je n'exclus pas des acquisitions d'infrastructures gazières à l’étranger, mais nous examinerons chaque fois le projet de transition énergétique dans ce pays.
Le cours de l'action de Fluxys Belgium est au plus bas depuis vingt ans… Cela vous préoccupe-t-il ?
Je le regarde tous les jours, mais que puis-je y faire? Je constate. Je ne peux pas en dire plus.
Pour de nombreuses entreprises, cela entraînerait un plan d'action...
Eh bien, les projets concernant l'hydrogène et le CO2 et une interview dans De Tijd et L'Echo constituent un bon plan d'action (rires).
- "Je pense qu'à un certain moment, il faut briser le paradoxe de l'œuf ou de la poule et faire un premier investissement proactif dans l'infrastructure."
- "Si nous excluons l'hydrogène bleu, nous nous privons d’une solution moins coûteuse et plus facilement disponible à grande échelle."
- "Selon les plans actuellement sur la table, nous n'avons pas besoin d'une augmentation de capital."
- "Si une solution nous convient, mais pas au marché, il faudra l’oublier."
- "Nous ne pouvons pas nous passer de la capture et du stockage du CO2."
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