tribune

La branche 6: une alternative valable à la Sicav RDT ?

Avocat-associé (Bloom Law) et maître de conférence (ULg)

Le produit de capitalisation luxembourgeois de la "branche 6" pour placer les liquidités excédentaires des sociétés? Le gouvernement va en réduire l'attrait.

À l’annonce du projet de réforme fiscale incluant la suppression pure et simple du régime de la "Sicav-RDT", s’est posée la question de savoir où les sociétés belges allaient pouvoir investir leurs liquidités excédentaires. Rapidement, les regards se sont tournés vers le produit de capitalisation luxembourgeois de la "branche 6". La réaction du gouvernement ne s’est pas fait attendre, puisqu’il a concocté un avant-projet de loi qui vient réduire substantiellement l’attrait de ce produit de placement…

Commercialisés principalement par les compagnies d’assurance luxembourgeoises, les produits de la "branche 6" sont des contrats d’assurance de capitalisation adossés à des fonds d’investissement. Ainsi, les primes sont-elles investies dans des fonds internes ou externes (collectifs ou dédiés). Le type de fonds est choisi par le preneur en fonction de son profil de risque. Ni le capital ni le rendement du produit n’est garanti.

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Un ruling favorable, mais...

Une décision anticipée du 1er juin 2021 - octroyée à la compagnie d’assurance Lombard International - laissait entrevoir des perspectives fiscales réjouissantes aux sociétés belges désireuses d’investir leurs liquidités excédentaires dans des produits de la branche 6. Dans ce ruling, le Service des Décisions Anticipées (SDA) a en effet estimé que le rendement du produit n’était imposable qu’au rachat ou à l’arrivée du terme du contrat (inapplication de l’article 362bis CIR).

Le gouvernement prévoit que les plus-values latentes afférentes au contrat de capitalisation de la branche 6 seront imposables chaque année.

Cette position s’inscrivait dans le droit fil de la position de la Commission des Normes Comptables (CNC), suivant laquelle il est impossible de reconnaître annuellement en produits des intérêts courus sur la durée de vie du contrat de la branche 6, vu leur caractère incertain jusqu’à l’échéance du contrat (cf. les deux décisions individuelles de la CNC, datées du 10 février 2021). À cette absence d’imposition "en cours de route" s’ajoutent les avantages fiscaux suivants:

- la possibilité de déduire les réductions de valeur éventuelles, en cas de mauvaises performances des fonds d’investissement sous-jacents, et

- l’absence de taxe annuelle sur les opérations d’assurance lors de la souscription du produit de branche 6.

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Le SDA est revenu sur sa position et le gouvernement le suit

Quelque temps après, le secteur des assurances apprit avec étonnement que le SDA était revenu sur sa position dans un nouveau ruling du 14 février 2013 – octroyé à la compagnie d’assurance Vitis –, s’alignant ainsi sur la position de l’administration centrale. Il s’agit d’une volte-face assez spectaculaire, puisque le SDA a considéré cette fois que l’article 362bis du CIR dérogeait au droit comptable en prévoyant une prise en compte des revenus non réalisés du produit de la branche 6, malgré leur caractère incertain.

Denis-Emmanuel Philippe déplore que le fisc interprète la même loi fiscale de manière contradictoire/inconsistante.
Denis-Emmanuel Philippe déplore que le fisc interprète la même loi fiscale de manière contradictoire/inconsistante. ©Frédéric Raevens

Résultat des courses pour le moins spectaculaire: un même produit financier (branche 6) est traité différemment, selon qu’il est visé par le ruling de 2021 ou de 2023. Cette situation est regrettable. La législation fiscale doit être suffisamment prévisible; or, tel n’est pas le cas lorsque le fisc interprète la même loi fiscale de manière contradictoire/inconsistante.

Le gouvernement entend désormais couper court à toute discussion à la faveur d’un avant-projet de loi (portant des dispositions fiscales diverses) tout récent, en se ralliant explicitement à la position défendue par le SDA dans le ruling de février 2023 (et à celle des services centraux de l’administration).

Les sociétés pourraient devoir l'impôt sur la plus-value latente tout au long du contrat, alors qu’elles n’ont pas encore perçu le moindre revenu de ce produit.

En bref: il est prévu que l’article 362bis du CIR soit modifié de telle manière que les plus-values latentes afférentes au contrat de capitalisation de la branche 6 soient imposables chaque année. Autrement dit: l’impôt des sociétés n’est plus différé jusqu’au terme du contrat, mais est dû périodiquement sur la base de la valeur du contrat à la fin de chaque période imposable.

"Tax without cash"

Gros bémol: les sociétés qui y souscrivent devront bien veiller aux implications fiscales du produit sur leur cash-flow. Elles pourraient en effet être amenées à verser à l’État l’impôt des sociétés sur la plus-value latente tout au long de la durée de vie du contrat, alors qu’elles n’ont pas encore perçu le moindre revenu (à défaut de rachat)! L’expression anglaise "tax without cash" résume bien cette situation loin d’être idéale…

Petite consolation: l’avant-projet de loi a également intégré une disposition prévoyant la détaxation des plus-values latentes en cas de réduction de valeur ultérieure.

Par Denis-Emmanuel Philippe, avocat associé (Bloom Law) et maître de conférences à l'ULiège.

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