Google, d'un monstre à l'autre
Larry Page et Sergey Brin lâchent les rênes de Google.
Google, hydre multicéphale, monstre tentaculaire qui surplombe nos vies? Ou réussite himalayenne qui sert de référent absolu à toutes les business schools du monde ? L’animal s’apprête à quitter le nid de ses concepteurs : Larry Page et Sergey Brin se désengagent de l’opérationnel. Belle occasion pour dresser un bilan intermédiaire. Après 21 ans d’une voracité inédite, le bébé de nos deux anciens étudiants de Stanford va maintenant voler de ses propres ailes.
Que retenir de cette tranche de vie ? Qu’à partir d’une idée simple (la sobriété du moteur de recherche ne résisterait à aucun business plan aujourd’hui), de petits coups de génie (le ranking des recherches), d’audaces historiques (numériser tous les livres, photographier toutes les rues, cartographier le monde), de quelques ratés magistraux (les Google Glass), de rachats déterminants (YouTube, Android et, on l’oublie souvent, DoubleClick devenu AdSense et son ciblage publicitaire), qu’à partir donc de ces décisions opportunes, voire opportunistes, on peut atteindre les sommets.
Google, c’est aussi cette diversification pléthorique, regroupée au sein de la maison-mère Alphabet. La domotique, les objets connectés, les voitures autonomes, la finance, la santé jusqu’à l’ADN même des citoyens du monde. Une omniprésence qui nous donne cette impression que l’entreprise est partout. Une omniprésence qui, aujourd’hui, fait peur.
Car Google, c’est aussi l’entreprise qui accepte de se censurer en Chine, qui profite d’un vide juridique international pour éluder l’impôt, qui abuse de son monopole en écrasant ses concurrents (ou en les rachetant), qui déshabille notre vie privée. C’est aussi une entreprise qui échappe, pour l’heure, à la lutte contre le réchauffement climatique alors que ses hangars à données polluent, qu’elle continue à financer des centres de réflexions climatosceptiques.
Bref, le gigantisme de l’entreprise la rend égale, voire supérieure, à un Etat.
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Dans un livre magistral, Thomas Hobbes a comparé l’Etat à un monstre mythologique, le Léviathan. Une image qui a tellement marqué les esprits qu’elle fait partie de l’inconscient collectif anglo-saxon, et particulièrement aux Etats-Unis où nos deux étudiants ont créé leur grand-œuvre. Saluons l’immense réussite de l’entreprise. Mais il est aussi temps de se demander qui, aujourd’hui, est le réel Léviathan. Quelqu’un aurait-il l’adresse gmail de Thomas Hobbes ?