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Fiscalité internationale: le cauchemar des "re-calculs à la belge"

Devoir recalculer selon les standards fiscaux belges la base imposable de sociétés étrangères est une source importante d’insécurité juridique et de discriminations.

Depuis quelques années, il est requis, dans certaines circonstances, de recalculer selon les standards fiscaux belges la base imposable de sociétés étrangères – basées au sein de l’Union européenne ou non – afin de décider si celles-ci paient suffisamment d’impôt selon les standards belges, et doivent dès lors subir des sanctions fiscales.

Nous appelons ces règles des règles de "re-calculs à la belge" et le gouvernement vient de nous annoncer – hélas – le renforcement et la multiplication de ces règles, qui nous paraissent pourtant disproportionnées dans un grand nombre de cas.

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Olivier Hermand.
Olivier Hermand. ©Rayan

D'abord, la taxe Caïman…

Une telle règle existe depuis 2015 dans le cadre de la fameuse "taxe Caïman". Lorsque celle-ci vise à s’attaquer à des sociétés établies dans des paradis fiscaux, cela se justifie pleinement. Il en est tout autrement, selon nous, lorsqu’elle s’applique à des sociétés européennes normalement soumises à l’impôt dans leur État de résidence.

Or, depuis 2018, la taxe Caïman est susceptible de s’appliquer à des sociétés (notamment) européennes lorsque celles-ci paient un impôt dans leur pays qui équivaut à moins de 1% du revenu imposable de cette société "déterminé conformément aux règles applicables pour établir l'impôt belge sur les revenus correspondants".

Le législateur "exporte" en quelque sorte nos règles d’impôt des sociétés belges au-delà de nos frontières.

En conséquence, une société normalement imposée, mais qui, pour une année donnée, ne paie pas d’impôt alors qu’elle en aurait payé si elle avait été belge, entre dans le champ d’application de la taxe Caïman, entraînant ainsi des conséquences fiscales lourdes pour ses actionnaires.

Par ce biais, le législateur “exporte” en quelque sorte nos règles d’impôt des sociétés belge au-delà de nos frontières, alors même qu’il n’y a pas d'harmonisation fiscale au sein de l’Union européenne. Une telle mesure est, selon nous, clairement en brèche avec les libertés fondamentales au sein de l’UE.

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… suivies de nouvelles règles anti-abus et de nouveaux "re-calculs"

Cette règle "de transparence" devrait encore être renforcée pour viser désormais la détention directe et indirecte de toute entité étrangère, ce qui ajoute encore un élément de disproportionnalité évident au mécanisme de la taxe Caïman.

Patrice Delacroix.
Patrice Delacroix. ©Rayan

Et ce n’est pas tout. Le gouvernement vient d’annoncer trois nouvelles applications de ce principe.

La première règle provient de la directive ATAD et permet d’imposer une société belge sur les bénéfices réalisés par une société étrangère qu’elle contrôle directement ou indirectement (règle dite "CFC"). Ainsi, cette règle s’applique si la société étrangère ne paie pas au moins la moitié de l’impôt qui aurait été dû si elle avait été établie en Belgique. Pour établir cette comparaison, la base imposable de la société étrangère doit être complètement recalculée selon les règles belges.

La deuxième règle vise à rejeter la déductibilité fiscale de certaines charges payées par une société belge à une société liée non-résidente, lorsque la société étrangère ne paie pas sur les revenus de l’espèce au moins la moitié de l’impôt qui aurait été dû si elle avait été établie en Belgique.

La troisième règle vise encore à renforcer le dispositif en rendant purement et simplement inopposables à l’administration fiscale certaines opérations de transferts (vente, cession, apports) à une société liée non-résidente, lorsque la société étrangère ne paie pas sur les actifs transférés au moins la moitié de l’impôt qui aurait été dû si elle avait été établie en Belgique.

Les "re-calculs" à la belge sont une source importante d’insécurité juridique et de discrimination.

Complexe et lourd en termes de compliance

Les "re-calculs" nécessitent de traduire les principes comptables et fiscaux étrangers en normes belges, ce qui nécessite une expertise spécifique.

Comme l’indique la Cour des comptes elle-même dans son rapport sur la taxe Caïman, le "re-calcul" peut être très complexe, notamment en raison du droit comptable local à appliquer, qui peut diverger du droit comptable belge. En outre, il convient de tenir compte de latences fiscales qui remontent parfois à des années en arrière, etc.

La tâche est d’autant plus ardue qu’il existe des différences subtiles entre les différentes législations fiscales, que cela requiert de collecter une quantité importante de données financières et fiscales, auxquelles n’ont pas forcément accès tous les actionnaires... À cela s’ajoute que les règles fiscales sont en constante évolution, et que les informations nécessaires n’existent pas toujours en français, en néerlandais ou en anglais.

Bref, les "re-calculs" à la belge sont une source importante d’insécurité juridique et de discrimination et nous nous inquiétons de voir se proliférer ce genre de mesures.

Patrice Delacroix et Olivier Hermand.

PwC

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