Valérie Glatigny, ministre de l’Éducation: "Ce qui nous obsède, c’est la pénurie d’enseignants"
Pour augmenter la qualité des apprentissages, il faut d'abord avoir un professeur dans chaque classe. C'est la priorité absolue de la nouvelle ministre de l’Éducation, Valérie Glatigny.
Le bureau de la nouvelle ministre de l’Éducation et de l’Enseignement obligatoire, Valérie Glatigny, est encore fort dépouillé. Seule une énorme plante verte fait office de décoration. Son cabinet, par contre, commence à se remplir. Lundi, c’est la rentrée scolaire. Et en cette fin de semaine, la ministre enchaîne les interviews.
On lui demande si l’arrivée d’une ministre MR à l’enseignement, poste occupé depuis 20 ans par les socialistes et les sociaux-chrétiens, va signifier la fin du "nivellement par le bas" régulièrement dénoncé par les libéraux. "C’est vrai qu’on n’a pas de bons résultats aux tests Pisa, alors qu’on investit beaucoup dans l’enseignement, comparé aux autres pays de l’OCDE. On veut mettre l’accent en priorité sur la qualité des apprentissages et les compétences de base, lire, écrire, compter. Et pour cela, on a besoin d'avoir la garantie qu’il y ait des professeurs dans les classes."

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"J'ai moi-même quitté l'enseignement après deux mois, faute d'avoir une visibilité sur la suite."
Vous voulez donner des contrats à durée indéterminée à ceux qui débutent, en contrepartie de l'abandon des nominations, ce qui hérisse les syndicats. Expliquez-nous la philosophie de ce projet…
Ce qui nous obsède, vraiment, c’est la pénurie d’enseignants, qui est très importante, la baisse des inscriptions dans les études d’enseignant, mais surtout l’exode des jeunes enseignants: un sur trois quitte le métier dans les cinq premières années! C’est pour cela que sous la précédente législature, nous avons fait passer la formation des enseignants de trois à quatre ans (Valérie Glatigny était alors ministre de l’Enseignement supérieur, jusqu’à ce qu’une grosse opération médicale l’oblige à démissionner, NDLR). Nous voulions une meilleure préparation à l’entrée dans le métier, avec une quatrième année de stages et de soutien pédagogique, pour ne plus laisser les jeunes qui débutent avec un sentiment de solitude face à leur classe.
Mais l’autre difficulté que relatent les jeunes enseignants, et cela revient avec insistance, c’est qu’ils font beaucoup d’intérims, passent d’un établissement à l’autre, avec toujours une épée de Damoclès: le statutaire qu’ils remplacent, qui est, par exemple, en détachement dans une organisation de jeunesse, en maladie de longue durée ou en congé maternité, pourrait revenir. J’ai moi-même quitté l’enseignement après deux mois, faute d’avoir une visibilité sur la suite. Et aujourd’hui encore, j’ai eu un appel d’une personne qui ne sait pas, dans trois jours, dans quel établissement elle sera…
Une fois qu’on est nommé, le statut est relativement protecteur. Par contre, quand on débute, on est souvent dans une situation fragile. Le statut a été bétonné dans les années 90 pour protéger les enseignants, dans un contexte de chômage assez important. Mais le monde a changé, on est dans une situation de pénurie sévère. L’idée est d’offrir aux jeunes une perspective de long terme.
Et la suppression des nominations, c’est pour contrebalancer financièrement le coût des CDI ?
Non, ce n’est pas ça qui a guidé la réflexion. Le statut fait partie des choses qui empêchent les jeunes de rentrer.
Mais cela n’aura d’effet qu’à très long terme…
Oui, les personnes qui sont nommées ne vont pas perdre leur nomination.
La volonté du nouveau gouvernement MR-Les Engagés d'abandonner le régime de nomination des enseignants au profit de contrats à durée indéterminée inquiète beaucoup les syndicats. "On ne comprend pas la logique. Le gouvernement dit vouloir régler la pénurie en attirant des jeunes vers le métier, mais dans le même temps, il supprime un des avantages de la profession", s'étonne Roland Lahaye, secrétaire général de la CSC Enseignement. "On ne voit pas l'intérêt d'une privatisation du statut d'enseignant ni des contrats à durées indéterminée", renchérit Joseph Thonon, président de la CGSP Enseignement jusqu'au 1ᵉʳ septembre, date à laquelle il passera le témoin à Luc Toussaint.
Et ce n'est pas l'unique point d'inquiétude. "Nous sommes sur nos gardes. Pas mal de choses nous tracassent dans les projets du nouveau gouvernement", remarque Roland Lahaye.
Pas question pour autant, à ce stade, de programmer des grèves ou des manifestations, les syndicats ne souhaitant pas perturber la rentrée scolaire. "Nous allons attendre d'avoir des projets concrets, et calmer nos troupes en attendant", explique Joseph Thonon.
"Ce que nous voulons, c'est rendre le métier plus attractif. Dans notre batterie de mesures, il n'y a pas que les CDI pour les jeunes."
L’idée est-elle de réduire les congés de longue durée ou les détachements?
Non. Une évaluation des détachements est prévue, parce que beaucoup de professeurs ne sont pas dans leur classe, parfois pour de très bonnes raisons, mais que dans un contexte de pénurie importante, on veut examiner tous les leviers qui sont à notre disposition.
Les syndicats se focalisent beaucoup sur le statut, je peux le comprendre, mais je vous encourage à relire la page 14 de la DPC (déclaration de politique communautaire). Ce que nous voulons, c’est rendre le métier plus attractif. Dans notre batterie de mesures, il n’y a pas que les CDI pour les jeunes. Il y a par exemple l’aménagement du début et de la fin de carrière, la rémunération des stages, la reconnaissance de l’expérience utile de ceux qui viennent d’un monde professionnel hors école, pour rendre la frontière plus poreuse, et permettre des allers et retours…
Les enseignants vont aussi pouvoir passer d’un réseau à l’autre sans perdre leurs droits, une flexibilité que veulent les jeunes. On prévoit aussi des sanctions plus importantes pour protéger les enseignants qui seraient victimes d’intimidation ou de harcèlement. Et bien sûr aussi, on veut revaloriser le métier avec un barème plus élevé.
La situation de pénurie aiguë que nous connaissons suppose vraiment qu’on change notre ‘mindset’. Et rappelons que pour l’instant, hormis la DPC, rien n’est encore sur la table. Il n’y a pas de texte secret… J’ai rencontré les syndicats deux jours après avoir prêté serment, et je vais écouter et concerter, ce ne sont pas des mots…
Je souhaite entamer le chantier rapidement avec comme feuille de route l'année 2026, parce que c’est l’année où il n’y aura pas de nouveaux enseignants diplômés, suite au passage de la formation de 3 à 4 ans.
Ces CDI, cela marcherait comment? Car le problème des jeunes qui ne savent pas où ils vont donner cours dans trois jours subsistera?
Il ne s’agit à ce stade que d’une idée générale, pour offrir aux jeunes une perspective de long terme autre que la nomination dans 2, 5 ou 10 ans, qui ne répond pas forcément à leurs attentes. Si les syndicats ont d’autres idées révolutionnaires pour répondre à l’exode des jeunes profs, très bien. Je ne fais pas cela pour faire des économies – d’ailleurs, on n’est même pas sûrs qu’on va en faire, parce que par exemple la pension des enseignants nommés est payée actuellement par le Fédéral. L’objectif, c’est vraiment de répondre aux besoins sur le terrain, et de donner de vraies perspectives aux jeunes enseignants pour construire leur projet personnel, sans dépendre de l’enseignant nommé qu’ils remplacent.
Tous les psychologues du travail nous le disent, les jeunes attendent autre chose que ce que les générations précédentes attendaient. Ma génération était hantée par la perspective du chômage. Dans un contexte de pénurie aiguë, il faut proposer autre chose, une stabilisation, mais aussi une flexibilisation de la carrière, qui donne la possibilité de quitter l’enseignement, puis de revenir, en valorisant cette expérience.
Vous parlez de revalorisation barémique, mais vous allez aussi demander des tâches supplémentaires à ceux qui ont un salaire de master et enseignent en primaire ou dans le secondaire inférieur…
Oui, parce qu’aujourd’hui, il y a des tensions dans les salles de classe. Deux instituteurs qui font le même métier n’ont pas le même salaire, parce que l’un a fait un master en éducation et l’autre pas. L’idée, c’est que celui qui a fait ce master utilise son expertise au bénéfice de l’établissement, en travaillant par exemple sur le climat scolaire. Cela aussi va faire l’objet d’une concertation.
Vous dites qu'il n'y aura peut-être pas d’économies avec la fin du statut, mais des économies, vous allez devoir en faire?
C’est clair. L’objectif, avec la Région wallonne, est un retour à l’équilibre sur dix ans, avec la réduction du déficit de moitié d’ici 2029. Tous les secteurs vont devoir faire des économies, mais en dégageant des marges pour les besoins impératifs, comme la pénurie des enseignants.
Mais nous voulons aussi créer un choc de simplification administrative, ce qui pourrait permettre certaines économies. On veut donner plus d'autonomie aux établissements, et réduire fortement le nombre de circulaires, qui sont un vrai trauma pour les directions d’école. En 2020, il y en a 400, en 2022, 224, on veut arriver à 100. Et on veut travailler sur l’informatisation du système de paie des enseignants, où l'on a des décennies de retard, ce qui entraîne un coût pharaonique pour la Fédération, avec des retards, des trop perçus, des indus…
Sur les 334 millions de réduction du déficit, que doit réaliser la Fédération en 2029, quelle part viendra de l’enseignement obligatoire?
C’est beaucoup trop tôt pour le dire. On aura un conclave début octobre.
"On va mettre l’obligation scolaire à trois ans, au lieu de cinq actuellement, ce qui réduira les inégalités."
Vous prévoyez une augmentation des épreuves du type CEB. Cela va-t-il vraiment aider à augmenter la qualité des apprentissages?
On va commencer par mettre l’obligation scolaire à trois ans, au lieu de cinq actuellement, ce qui réduira les inégalités, en permettant l’acquisition de compétences sociales ou cognitives. Et puis, il y aura en troisième primaire une évaluation certificative externe, sans attendre le CEB pour détecter des lacunes d’apprentissage. On veut aussi augmenter le seuil de réussite du CEB à 60% plutôt que 50%, pour ne pas reporter des difficultés à plus tard. Et inclure dans ce CEB les compétences linguistiques.
"On ne peut pas se permettre, dans le contexte budgétaire actuel, d'avoir des mesures qui ratent leur cible."
Vous songez, comme votre prédécesseuse, à imposer le néerlandais en Wallonie dès la troisième primaire?
Oui, mais une consultation des parents et des entreprises est prévue. L’idée est d’imposer l’apprentissage d’une deuxième langue nationale – parce que certaines régions limitrophes vont peut-être préférer l’allemand. On ira aussi loin que possible, sachant qu’il y a la difficulté de la disponibilité des profs de langue. Cela ne se règlera pas d’un claquement de doigt, mais c’est un enjeu majeur dans un monde globalisé comme le nôtre, tout comme les compétences numériques, auxquelles nous prêtons aussi très attention.
Vous prévoyez aussi une évaluation du Pacte d’excellence. À quelle échéance?
On ne sait pas encore. Mais cela ne veut pas dire qu’on va mettre le Pacte d’excellence à la poubelle. Dire qu’on va évaluer fait toujours peur, mais on ne peut pas se permettre, dans le contexte budgétaire actuel, d’avoir des mesures qui ratent leur cible.
Vous avez déjà décidé d’alléger le socle commun en troisième année?
Ce qui nous est remonté du terrain, c’est qu’il y avait sans doute une incohérence à contraindre des jeunes en difficulté à poursuivre le tronc commun jusqu’en troisième. On risque d’avoir une perte du goût de l’apprentissage. On veut donc permettre à l’élève de mieux connaître ses forces et ses faiblesses, mais aussi ses aspirations, avec une troisième année qui serait une année charnière, avec toujours des activités communes, mais aussi des activités orientantes, comme la sensibilisation à tel ou tel métier, ou un stage dans une entreprise. Nous voulons davantage d’alternance.
Vous voulez rapprocher le monde de l’école et de l’entreprise?
Exactement. On veut aider les jeunes qui sont en train de décrocher en leur donnant une meilleure vue sur les nouveaux métiers, les formations qualifiantes et les stages qu’ils peuvent faire. On a un nombre de NEETS, de jeunes qui ne sont ni à l’emploi ni à la formation, trop important: c’est 8% en Région wallonne, 9% à Bruxelles, et 5% en Flandre.
La fusion des trois réseaux de l’officiel, cela pourrait permettre de grosses économies?
On communiquera des chiffres après le conclave, mais cela devrait surtout permettre une mobilité des enseignants entre les réseaux.
La fusion du libre et de l'officiel pourrait-elle être la prochaine étape?
On n’est plus à l’époque de la guerre scolaire. L’idée est d’avoir le climat le plus apaisé possible, où les acteurs se parlent, et c’est déjà le cas. La DPC prévoit aussi de rééquilibrer le financement du réseau libre, en l’alignant sur celui de l’officiel.
Combien va coûter cet alignement?
Les chiffres seront donnés après le conclave, mais on a une trajectoire sur 10 ans, pour arriver à un taux de subventionnement du libre de 92% au bout de ces 10 ans, ce qui est une égalité parfaite, le différentiel s’expliquant par les bâtiments.
En conclusion, quel est votre message direct aux profs?
Lisez la page 14 de la DPC… (elle rit) La priorité du gouvernement, ce sera de valoriser leur métier, parce qu’augmenter les compétences des élèves, ça passera par un prof dans chaque classe.
L’interdiction du GSM. "C’est une mesure que nous prenons à très court terme, en tout cas en primaire, et si les acteurs le souhaitent, jusqu’à la fin du tronc commun. Cela nous est demandé par les enseignants, qui vont ainsi pouvoir se concentrer sur les apprentissages."
Le rythme de la journée scolaire. "C’est vraiment une priorité à mes yeux, même si c’est un projet de long terme, parce que cela va obliger l’ensemble de la société à s’adapter. La Fondation Roi Baudouin va nous aider à préparer ce chantier. Nous voulons travailler sur les rythmes chronobiologiques de l’enfant. La première heure après le sandwich mayonnaise n’est pas favorable à une activité à forte concentration... En Allemagne, le matin, il y a cours, et l’après-midi, il y a des activités sportives ou culturelles..."
La gratuité des fournitures scolaires. "De la première maternelle à la troisième primaire, ça représente 20 millions d’euros. Avant de mettre des moyens supplémentaires pour le reste des primaires, on va d’abord évaluer la mesure."
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