Etienne Bouillon (Belgian Owl): "Quand il y a une difficulté, la solution est toujours à côté"
L'entrepreneur liégeois Etienne Bouillon, patron de la distillerie Belgian Owl, s'étale sur sa passion du whisky.
Etienne Bouillon fabrique du whisky. Il pense whisky, rêve whisky et ne parle que de whisky. Mais c'est dans un temple de la bière bruxellois, le Moeder Lambic à Saint-Gilles, qu'il nous a donné rendez-vous "le plus tôt possible", car notre homme vient de Liège, de Hesbaye pour être précis. Va pour 17h. Il avait fait prévenir qu'il ne viendrait d'ailleurs pas seul, mais avec son CEO, Jean-Louis Baltus.
À notre arrivée à 16h45, le duo de Liégeois pinte gentiment sur les bancs en bois. Devant eux, des verres à bière sont posés sur une table épaisse découpée dans un chêne. "Déjà l'apéro?", lançons-nous. Le CEO réplique: "Oui, c'est le jet lag liégeois." Lui, d'ailleurs, ne boude pas son plaisir. Pour preuve, et à côté de sa Moeder Impérial, un petit shot de Mezcal se la joue discret-discret en se collant au pied du verre. Démasqué, l'homme explique que c'est là son habitude: "Toujours prendre un verre soit de ce qu'on ne connaît pas, soit de ce qu'on n'a plus bu depuis des millions d'années." Tout ça. L'occasion d'échanger des vœux de bonne santé, et d'apprendre d’Étienne que, pour lui, "toutes les années sont bonnes", car la pensée positive, c'est son mantra dans la vie.
"L'alcool, ça conserve"
En cette heure de goûter, Étienne Bouillon se la joue soft: une Moeder classique, sans verre à pied. Il s'échauffe – dirons-nous –, et pour participer à l'entraînement, nous lui demandons "pourquoi ce bar?". "Pour l'ambiance, les bières spéciales et les gens", répond-il sobrement. De fait, le patron de l'établissement est charmant, même drôle. Le style qui vouvoie quand il check la vaccination, et qui tutoie quand il conseille une bière. Bref, un tenancier qui en trois questions sait ferrer son poisson. Calé au fond de son banc, Etienne Bouillon finit par expliquer "qu'au siècle dernier", il kotait dans le quartier, à l'époque où il ambitionnait de devenir vétérinaire.
Le lien entre la faculté de Curreghem et la création de sa distillerie Belgian Owl? "Mais l'alcool, voyons! Comme quoi, ça conserve! Je me tiens pour 61 ans, non?" Bon public, le CEO rigole parce qu'il est "toujours de bonne humeur". Nous migrons vers une autre table, pour plus de calme. Étienne emporte avec lui une grosse caisse. Dedans, une dizaine de bouteilles de sa fabrication, raides dans leurs beaux cartons. Hum, ça sent la démonstration!
Deux ingrédients
"Vous savez comment on fait du whisky? Eh bien, c'est très simple et on n'a besoin que de deux ingrédients, de l'orge et de l'eau."
"Vous savez comment on fait du whisky? Eh bien, c'est très simple et on n'a besoin que de deux ingrédients, de l'orge et de l'eau. Et tout ça pour arriver à ce résultat-là!", explique-t-il en dégainant une bouteille de sa caisse comme un magicien tirerait un lapin d'un chapeau. Une bouteille – certes de belle facture – mais que l'on confondrait aisément avec de l'eau ou de la vodka. L'alcool, ou futur whisky, une "vapeur d'eau condensée" qui prend une partie de son goût et sa couleur après trois années passées dans un tonneau de chêne. 800 sortes différentes, quand même.
Le goût, la senteur, c'est donc 60% grâce au tonneau, les 40% restant étant l’orge. Il poursuit: "En Hesbaye, notre terroir – 'magnifique terroir' –, il existe une partie sèche et une partie humide et nous, c'est dans la sèche qu'on fait pousser l'orge. On entend souvent les amateurs de vins vanter la qualité de certaines terres, eh bien, avec le whisky, c'est pareil!".
Parti d'un seul tonneau en 2004, Etienne Bouillon en a rempli 1.000 l'année dernière. Une explosion qui voyait ses hectares bondir de 10 à 77 pour atteindre – l'année prochaine – une superficie de 400 hectares. Dit comme ça, on ne peut s'empêcher de penser que celui qui nous fait face n'a peur de rien, ni du climat de rêve que l'on trouve en Belgique, ni des dérèglements environnementaux ni des conséquences économiques du covid. Bravo!
Doublement belge
Ça tombe bien, car c'est précisément de cela dont notre fondateur aimerait nous parler. Parce que lui est très fier de son circuit-court, voyez-vous. D'accord, son whisky est belge, mais il n'est pas le seul. En revanche, Belgian Owl a la particularité d'être deux fois plus belge qu'un autre. Parce que, lui, il cumule: non seulement il est distillé dans le Royaume – condition sine qua non pour se revendiquer "belge" –, mais en plus sa matière première, l'orge, provient d'ici aussi.
Pas de drames, donc, liés aux matières premières, et plus encore si l'on sait qu'Etienne Bouillon a choisi de payer 35% plus cher son orge que le cours du marché. Parce que ses premiers partenaires, ce sont "les agriculteurs et la terre, les gages d'un produit de qualité". Maintenant s'il faut parler climat, il reconnaît avoir enchaîné deux années plutôt "pourries", mais qui n'ont pas affecté directement les récoltes, "déjà parce que les agriculteurs connaissent très bien leur métier, mais aussi car les plantes sont adaptées au sol, et donc capables de résister à de mauvaises conditions climatiques".
Marché stable
"Au contraire d'autres alcools, le whisky n'a pas connu d'effet mode, ce qui lui a permis de rester sur un marché stable. En revanche, la demande – particulièrement pour des produits premium – explose véritablement ces dernières années."
Local, circuit-court, "presque équitable" et pour l’année prochaine, Belgian Owl ne vise pas moins que l'envoi de 50% de sa production à l'exportation. Le whisky, un drôle de marché qui – à vue de nez – n'a pas semblé bénéficier du même effet "mode" que le gin. Nous avions tort. "Au contraire d'autres alcools, le whisky n'a pas connu d'effet mode, ce qui lui a permis de rester sur un marché stable. En revanche, la demande – particulièrement pour des produits premium – explose véritablement ces dernières années." Parmi les plus grands consommateurs, la France, mais c'est "historique", le Japon, l'Afrique du Sud, l'Inde et les USA.
Quant à la Belgique, même si la consommation n'a pas vraiment évolué, la culture du whisky s'y diffuse bien plus largement aujourd'hui, notamment à travers les clubs d'amateurs, nous explique encore le fondateur de Belgian Owl. Et le covid, dans tout ça? "Un gros ralentissement de nos projets d'exportations, car certains gros pays importateurs étaient frappés d'une interdiction quant à l'alcool – alcohol bans – comme le Japon ou l'Afrique du Sud, pour prévenir les rassemblements festifs."
Pourtant, l'exportation leur a quand même permis de compenser la diminution du chiffre d'affaires lié aux différentes fermetures ou limitations des horaires de l'horeca. Et c'est là, finalement, que réside le second mantra d'Etienne Bouillon: "vous savez, quand il y a une difficulté, la solution est toujours à côté, il suffit juste de la trouver. C'est d'ailleurs le rôle d'une difficulté: permettre à quelque chose de plus positif d'émerger." Sur ce, le CEO atterrit sur notre banc. L'heure où l'on commence à avoir faim, et le duo se demande tout de même s'ils n'iraient pas casser la croûte avant de retourner sur leurs terres.
2002: "Alors que je souffre de vertige, je m'étais promis de sauter en parachute le jour où je rencontrais la femme de ma vie. Un mois après l'avoir trouvée, nous sautions pour 4km en chute libre."
2004: "Le remplissage de mon premier fût de whisky. Un jour aussi important qu'une naissance."
2013: "Je récupère deux alambics de la mythique distillerie écossaise Caperdonich, devenue une 'ghost distillery' lorsqu'on rasait ses murs."
2018: "La création de ma société d'export: Dex Owl."
2018: "La navigatrice Morgane Ursault-Poupon devient notre égérie. Une femme dans un métier d'homme. Une femme, aussi, pour représenter ce qu'on considère à tort comme une boisson d'homme."
Apéro préféré: "Un Orval."
Dernière cuite: "Lors de l'anniversaire d'un ami, distillateur en champagne. Après une soirée arrosée, il m'a fait des grogs au marc de champagne car je m'étais enrhumé. Ça m'a achevé."
À table: "J'adore le vacqueyras."
À qui payer un verre: "À Adamo, un merveilleux ambassadeur pour notre pays. Rien de tel que de lancer 'Tombe la neige' en japonais pour briser la glace avec des interlocuteurs au Japon. Mais, surtout, j'adore ses chansons!"
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