Submer, des data centers en immersion pour en réduire la consommation
Soutenue par les familles d'AB InBev, la pépite espagnole permet de réduire de moitié l'électricité requise pour refroidir ces centres névralgiques du trafic internet mondial.
Le constat est patent: d'ici 2025, les data centers devraient consommer 10% de l'électricité mondiale et être responsables de 2,75% des émissions de gaz à effet de serre, les plaçant de facto au-dessus du transport aérien en termes d'empreinte carbone par exemple, ressort-il d'une étude menée il y a peu par la Global e-Sustainability Initiative (GeSI). En Irlande, cette proportion devrait même monter jusqu'à 30% de la consommation électrique du pays d'ici 2028, selon le gestionnaire de réseau de transport (GRT) d'électricité irlandais EirGrid.
Conscience sectorielle
Alors, consciente de ce problème d'ampleur, chaque entreprise utilisatrice de données qui se respecte y va de sa manière pour (tenter de) consommer moins. Ainsi, chez Proximus par exemple, l'on a recours à une "Roue de Kyoto", mécanisme permettant de rafraîchir l'air intérieur grâce à l'air extérieur, sans mélange des deux. Du côté de Google , les infrastructures de Saint-Ghislain, dans le Hainaut, ont été parmi les premières au monde à fonctionner hors système classique grâce à un mécanisme de refroidissement par évaporation rendu possible grâce au prélèvement de l'eau du canal industriel Nimy-Blaton tout proche – une initiative qui a donné des petits avec l'eau de mer en Finlande ou encore les eaux usées dans la ville de Douglas, aux États-Unis.
Mais c'était sans compter sur un développement technologique notoire, made in Spain, capable de changer la donne. Basée à Barcelone, la société Submer a en effet développé une autre voie (brevetée) passant par l'immersion des racks de serveurs dans de grands réservoirs modulaires remplis d'un liquide non conducteur (et biodégradable). À la clé, l'économie est significative. Jugez plutôt: moitié moins d'électricité est consommée par rapport aux méthodes traditionnelles, quand la consommation en eau – similaire à celle d'une ville de 35.000 habitants – est réduite de 99%. De même, la voilure immobilière autour de ces centres névralgiques du trafic internet mondial peut également se voir influencée à la baisse.
Partenaires de poids
Forte de cette donne, la pépite n'est évidemment pas passée sous les radars des plus grands consommateurs en énergie que sont les géants de la tech et des télécoms. Elle a convaincu le groupe de télécoms espagnol Telefónica par exemple, qui a installé sa solution dans des milliers de bâtiments déjà, et un accord de codéveloppement a aussi été signé en août avec l'américain Intel afin "d'offrir une solution durable qui fera la différence pour nos clients communs", évoquait alors Mohan Kumar, chercheur associé auprès du champion des puces.
Ces deux partenaires sont à noter à deux titres. D’abord, ils permettent de démontrer une possible utilisation même pour des connecteurs parfois minuscules – de l'ordre de 9 microns, soit plus petits qu'un cheveu – comme pour la fibre optique par exemple; ensuite, ils témoignent du rôle potentiel de Submer dans une future standardisation sur le marché. Ces deux éléments clés "permettront que la technologie du refroidissement par immersion soit réellement utilisable par n'importe quelle société", indique Nicolas Coppée, data center manager chez l'expert de la colocation de data centers LCL. Ancien employé de la filiale d'Engie Cofely, société spécialisée dans les services en efficacité énergétique et environnementale, l'homme a accompagné en juin dernier la reprise à Gembloux d'un data center ayant appartenu jusque-là à Engie Solutions. Un lieu où l'air extérieur, tant qu'il affiche une température inférieure à 21 degrés, est poussé à l'intérieur pour refroidir les infrastructures. "Dans notre cas, la colocation (soit la mise à disposition de data centers pour le compte de tiers, NDLR), on doit être capable d'offrir des garanties de taille aux clients."
Course enclenchée
La course est d'ailleurs enclenchée pour y parvenir. Puisqu'à côté de la société espagnole, qui vient de lever quelque 30 millions d'euros de capitaux frais auprès notamment des familles belges actionnaires d'AB InBev pour sortir gagnante face à la concurrence, l'on retrouve d'autres acteurs que sont le polonais DCX ou encore le géant français Schneider Electric , pour ne citer que les noms des acteurs les plus importants d'après une étude parue l'an dernier.
Le marché du refroidissement liquide devrait atteindre une valeur totale de plus de 2,2 milliards d'euros d'ici 2026, fort d'une croissance annuelle moyenne de 15%.
Petit cocorico, avec Submer, les trois figures de proue sont en réalité européennes dans un marché du refroidissement liquide qui devrait atteindre une valeur totale de plus de 2,2 milliards d'euros d'ici 2026, fort d'une croissance annuelle moyenne de 15%.
De son côté, le géant Microsoft s'est lui essayé à l'immersion, mais en milieu naturel dans le cadre du projet Natick. Après deux ans d'étude sur quelque 864 serveurs plongés à 35 mètres de profondeur aux abords des côtes écossaises dans une sorte de cuve-sous-marin, il en est ressorti en 2020 une plus grande fiabilité – en raison de la limitation de la corrosion liée à l'oxygène – et une économie d'énergie. Pour autant, "bien qu'intéressante, l'approche ne résout pas tous les problèmes, notamment quant à une nécessité de rapprocher physiquement les infrastructures de leurs utilisateurs pour réduire les retards dans les communications", indiquait il y a quelques mois le COO de Submer, Pol Valls Soler, dans une interview.
Cofondateur de Klarna en soutien
Submer a été fondée par l'intéressé, ancien développeur et ingénieur, et son beau-frère, Daniel Pope, qui exploitait une entreprise de data centers vendue par la suite à Telefonica. Si le duo a loupé le coche du programme d'accélération bien connu au niveau mondial Y Combinator dans ses premières heures, il a toutefois notamment tapé dans l'œil du cofondateur de Klarna, Niklas Adalberth, dont le véhicule de capital-risque soutient le projet.
L'an dernier, la start-up s'apprêtait à enregistrer entre 25 et 40 millions d'euros de chiffre d'affaires, grâce à ses 80 employés. D'ici 2025, elle espère dépasser le milliard, forte d'une équipe doublée, rapportaient en septembre nos confrères du quotidien économique espagnol Expansión.
- La start-up espagnole Submer a développé une technique innovante de refroidissement de serveurs dans un liquide non conducteur. À la clé: moitié moins d'énergie consommée.
- L'avancée est réelle, car ces centres névralgiques du trafic internet mondial devraient peser 10% de la consommation en électricité d'ici 2025.
- Telefónica et Intel en sont partenaires, et les familles belges d'AB InBev et le cofondateur de Klarna soutiennent financièrement le projet.
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