Comment intégrer le premier coup de ciseaux de la BCE dans votre portefeuille?
La première baisse des taux de la Banque centrale européenne (BCE) cette semaine marque, selon toute vraisemblance, le début d’un long processus d’assouplissement monétaire, des deux côtés de l’Atlantique. Comment les épargnants et les investisseurs doivent-ils l’appréhender?
La Banque centrale européenne (BCE) est désormais enfin engagée sur la voie de l’assouplissement de sa politique monétaire. Après un statu quo de neuf mois, l’institution de Francfort a donné jeudi un premier coup de ciseaux à son taux directeur, à hauteur de 25 points de base, le ramenant à 3,75%. C'est la première fois depuis 2019 que la BCE réduit le loyer de l’argent en vigueur dans la zone euro. La BCE estime opportun de commencer à assouplir sa politique monétaire parce qu’elle a désormais en vue son objectif d'une inflation de 2%. Elle s'attend en effet à ce que la hausse des prix à la consommation passe d'une moyenne de 2,5% en 2024 à 2,2% en 2025 et à 1,9 % en 2026.
La zone euro semble ainsi avoir tourné la page de plusieurs années d'inflation élevée, qui a culminé à 10,6% en octobre 2022 en raison principalement de la forte hausse des prix de l'énergie et d'autres matières premières. Pour contrecarrer ce net renchérissement du coût de la vie, la BCE a poussé à fond sur la pédale du resserrement monétaire, en faisant passer son taux directeur de -0,5 % à un niveau record de 4% entre juillet 2022 et septembre 2023. Ce traitement de choc, administré en l’espace d’un peu plus d’un an à peine, renforcé par la rechute des prix de l'énergie, a réussi à ramener l'inflation à 2,6%.
Pour sa part, le taux directeur américain ne devrait entamer sa décrue qu’en septembre prochain.
On notera, ce qui a son importance, que la BCE a sorti son rabot monétaire plus tôt que son homologue américaine, alors que la Réserve fédérale (Fed) est généralement la première à ajuster ses taux d'intérêt. Mais cette inversion des rôles est le fait de la Fed puisque c’est elle qui a décidé de retarder son cycle de baisses du loyer de l’argent en soulignant, au début du mois de mai, que les données relatives à l'inflation lors des trois premiers mois de l'année avaient été chaque fois plus élevées que prévu. Dès lors, le taux directeur américain ne devrait entamer sa décrue qu’en septembre prochain.
Un véritable cycle de baisses?
Le calendrier monétaire n’en reste pas moins incertain. "Le rythme des baisses de taux d'intérêt dépendra des données", a déclaré Christine Lagarde, présidente de la BCE. Les derniers chiffres de l'inflation montrent clairement que l'inflation ne se rapproche pas en ligne droite de l'objectif de 2%. L'inflation a rebondi plus que prévu en mai, les coûts des services se renchérissant de pas moins de 4,1% ces douze derniers mois, dopés par la hausse des salaires, que les entreprises répercutent peu ou prou sur leurs prix de vente. Mais la BCE semble désormais convaincue que la croissance des salaires va ralentir, ce qui fonde ses prévisions d’inflation.
Prudente, l’institution de Francfort ne devrait cependant assouplir sa politique que très progressivement, avec une ou tout au plus deux réductions de son taux d’ici à la fin de l’année, selon ce que l’on peut déduire de l’évolution du marché monétaire. De leur côté, les économistes sont très nombreux à prévoir deux coups de canif, peut-être le 12 septembre et le 12 décembre. Cela ramènerait le taux directeur à 3,25% à la fin de l'année.
Mais le cycle baissier devrait se poursuivre en 2025. L'économiste en chef de la BCE, Philip Lane, a déclaré la semaine dernière qu'il s'attendait à une "normalisation" de la politique monétaire à ce moment-là. Ce qui situerait le taux directeur de la BCE à 2,75% au mitan de l’année prochaine et à 2,5% en décembre 2025.
L’euro se dépréciera-t-il par rapport au dollar?
Les économistes pensent que non. Même si la Fed commencera à réduire ses taux d'intérêt quelques mois plus tard que la BCE, les taux directeurs des deux banques centrales baisseront à peu près dans les mêmes proportions au cours de l'année ou de l'année et demie à venir. La différence entre les taux d'intérêt à court terme américains et européens ne changera donc pas beaucoup. Selon un sondage réalisé par l'agence de presse Bloomberg, les économistes s'attendent à ce que l'euro reste à peu près stable.
Le taux offert sur l’épargne va-t-il diminuer?
Un loyer de l’argent moins élevé ne manquera pas de peser sur les taux d'intérêt à court terme, et donc sur la rémunération des comptes d'épargne, des comptes à terme à brève échéance et des bons de caisse. Mais les banques s’abstiendront sans doute de réduire cette rémunération jusqu'au 4 septembre, date à laquelle elles comptent bien rafler une grande partie des 22 milliards d’euros qui se libèreront avec l’arrivée à échéance du bon d'État à un an, qui avait remporté un énorme succès en raison du taux offert et du précompte mobilier réduit. Alors que le nouveau bon d’État ne devrait pas bénéficier d’un régime fiscal favorable, les banques se donneront toutes les chances d’attirer les épargnants en proposant des conditions financières au moins aussi attrayantes.
Les perspectives pour les taux d'intérêt à long terme, qui reflètent, entre autres, les attentes en matière d'inflation à plus long terme, sont moins claires. Quand certaines banques s'attendent à ce que les taux longs refluent après la récente hausse, d'autres prévoient qu'ils resteront à peu près stables. Les taux d'intérêt sur les comptes à terme et les bons du Trésor à longue échéance sont principalement déterminés par les taux d'intérêt à long terme.
Quelles conséquences pour les emprunteurs?
La baisse des taux d'intérêt est évidemment une bonne nouvelle pour les emprunteurs. L'impact sur les crédits logement dépend de leur formule. Si vous avez souscrit un prêt hypothécaire à taux révisable annuellement, cette baisse des taux d'intérêt à court terme aura en principe un impact favorable. Quant aux prêts à taux fixe, il faut se tourner vers l’évolution des taux à long terme, moins prévisibles que les taux à court terme. Mais précisons encore que les taux d'intérêt hypothécaires ne dépendent pas seulement de l'évolution des taux d'intérêt du marché. Les politiques commerciales des banques jouent également un rôle.
Quel est l’impact d’une courbe des taux plus pentue?
Alors que la baisse du taux directeur de la BCE a réduit les taux d’intérêt à court terme, les taux longs ont au contraire remonté ces derniers mois, parce que les investisseurs exigent toujours une prime de risque plus élevée au vu de la persistance de l'inflation, encore à 2,6% dans la zone euro en mai. Les taux longs se tendent également en raison du "resserrement quantitatif" par lequel la banque centrale réduit son portefeuille d'obligations à coups de milliards d’euros, augmentant ainsi l’offre de titres de créance sur le marché (ce qui déprime leur cours).
Ce n'est pas encore le moment d'investir dans les obligations à échéances ultra-longues, estiment les stratèges.
Ce mouvement (baisse des taux court et hausse des taux long) rend la courbe des taux plus pentue. En principe, dans cette configuration, les obligations à long terme gagnent en attrait. Mais ce n'est pas encore le moment d'investir dans les échéances ultra-longues, estiment les stratégistes. La raison en est simple: "L'économie se redresse, tandis que l'inflation reste supérieure aux objectifs des banques centrales, ce qui donne à la BCE et aux autres banques centrales une faible marge de manœuvre pour réduire les taux d'intérêt de manière agressive. Par conséquent, les taux à court terme restent actuellement plus élevés que les taux à long terme", explique Althea Spinozzi, responsable des produits à revenu fixe chez Saxo. "Il est donc trop tôt pour augmenter votre exposition aux titres à long terme."
Qu’est-ce que cela signifie pour vos obligations?
Si les marchés s'attendent à plusieurs autres baisses du loyer de l’argent de la BCE d’ici à septembre 2025, ils n'envisagent pas pour autant un retour à la politique de taux au plancher d'avant la crise du covid. Le taux directeur ne devrait donc pas baisser au-dessous d’environ 2,5%, alors qu’entre 2016 et 2022, il avait été très bas, voire négatif. "Dès lors, nous ne voyons pas venir dans l’immédiat une grande vague d'achat sur la partie longue de la courbe des taux", explique Althea Spinozzi. "Nous recommandons donc de continuer à privilégier les obligations à court terme."
La baisse du taux directeur est-elle positive pour les bourses?
Un assouplissement de la politique monétaire, c’est-à-dire un argent moins cher, est favorable par essence aux marchés boursiers. Mais là aussi, on en revient aux mêmes considérations. Ce sont en effet surtout les taux d'intérêt à long terme qui comptent, car ce sont eux qui ont le plus d'impact sur la valeur des entreprises calculée par les analystes et les gestionnaires de fonds. Leur méthode de valorisation de l’action concernée dépend généralement du taux d'actualisation des cash-flows et les dividendes futurs. Or, plus le taux d'actualisation est élevé, plus la valeur actuelle de ces flux financiers futurs est faible.
Les taux d'intérêt à court terme, tels qu’ils sont déterminés par la BCE, n'ont pas d'impact direct sur les modèles de valorisation des entreprises utilisés par les analystes.
Tous les modèles utilisés par les experts financiers utilisent généralement le taux des obligations d'État à 10 ans sans risque comme taux d'actualisation. Qu'il s'agisse de dividendes dans le cas du "dividend discount model" (DDM) ou des cash-flows dans le cas du modèle "discounted cash flow" (DCF). Les taux d'intérêt à court terme, tels qu’ils sont déterminés par la BCE, n'ont donc pas d'impact direct sur ces modèles d'évaluation.
Les placements européens deviennent-ils plus intéressants que les américains?
Pour la première fois de l’histoire, comme nous l’avons déjà relevé, la BCE brûle la politesse à son homologue américaine. Les marchés boursiers européens pourraient donc rattraper leur retard. Leurs valorisations sont encore bien inférieures à celles affichées aux États-Unis. Les entreprises de l'indice européen Stoxx 600 se négocient à 14 fois les bénéfices, contre 23 fois pour l'indice américain S&P500.
"Une inflation structurellement plus élevée et des niveaux de taux d'intérêt qui le restent aussi devraient être positifs pour un marché axé sur la valeur comme l'Europe."
Mais l'amélioration des perspectives des bourses européennes n'est pas nécessairement due à la baisse des taux d'intérêt, selon Beata Manthey, stratégiste en chef chez Citi. Le facteur déterminant pour leur éventuel rattrapage, souligne-t-elle, sera la modération avec laquelle les taux d'intérêt vont baisser et la perspective d'une inflation qui restera supérieure à l'objectif de 2% pendant un certain temps encore. "Une inflation structurellement plus élevée et des niveaux de taux d'intérêt qui le restent aussi devraient être positifs pour un marché axé sur la valeur comme l'Europe." En d'autres termes, dans un monde où les investisseurs achètent des actions moins pour la croissance que pour les cash-flows actuels, l'Europe devrait en profiter davantage.
Les investissements en devises en ressentent également l’impact. Vu le décalage actuel et futur de l’assouplissement monétaire selon les grandes zones économiques, un "carry trade" de grande ampleur s'est développé ces derniers mois. En clair, les investisseurs (institutionnels) empruntent de l'argent dans des monnaies à faible taux d'intérêt et l’investissent dans des devises dont les taux d'intérêt devraient rester élevés plus longtemps. "Cette tendance devrait se poursuive encore quelques mois, car les baisses de taux d'intérêt seront clairement réparties entre les ‘early movers’ et les ‘late movers’", explique Kristina Hooper, stratégiste en chef chez Invesco. Mais cet effet ne durera pas très longtemps. Selon Kristina Hooper, la Banque d'Angleterre commencera à réduire ses taux en août. La Fed, quant à elle, attendra certes encore un peu, mais devrait entamer son cycle de baisse dès cette année.
Quelles actions en profiteront le plus?
Lorsque les taux d'intérêt sont élevés parce que l'économie prospère, les actions battent généralement les obligations. Et elles continueront à le faire, estiment la plupart des analystes. La baisse des taux d'intérêt crée un environnement plus favorable pour les entreprises qui cherchent à refinancer leur dette élevée ou pour celles qui cherchent à investir. Les groupes immobiliers et les "utilities", tels qu'Elia et Proximus , en sont les meilleurs exemples. Ils appartiennent à des secteurs qui se caractérisent généralement par des rendements en dividendes élevés et une volatilité relativement faible.
Les actions immobilières versent un dividende régulier grâce à leurs revenus locatifs. Plus le rendement des obligations est élevé, moins les investissements immobiliers sont attractifs et inversement. La baisse des rendements obligataires devrait donc contribuer au redressement boursier du secteur, qui a été durement touché par la hausse des taux d'intérêt.
À la Bourse de Bruxelles, les 15 sociétés immobilières cotées (SIR) versent un dividende moyen de plus de 7% brut (5,2% net). Mais de généreux distributeurs de dividendes se retrouvent également dans d'autres secteurs (voir le tableau ci-dessous).
Les entreprises fortement endettées (voir le tableau ci-dessus) ne peuvent également que profiter d’une baisse des taux d'intérêt, car elles ont la possibilité de renégocier leurs emprunts à des conditions plus favorables. Mais cet effet ne doit pas être surestimé dans un premier temps. Tant que les taux d'intérêt à long terme restent élevés, seules les dettes à court terme reviennent moins chères.
Les entreprises qui peuvent se refinancer à des conditions plus favorables voient leur rentabilité s’améliorer. De plus, les taux d'intérêt bas incitent les entreprises à s'endetter davantage, par exemple, pour acquérir des entreprises génératrices de cash-flow ou pour racheter leurs propres actions.
Quelles actions souffrent de taux plus bas?
Les institutions financières, et en particulier les assureurs, ont moins de grain (de gras, pourrait-on dire) à moudre dans un climat de baisse des taux d'intérêt. Ils sont, en effet, tenus d’investir une grande partie de leurs actifs dans des obligations de qualité qui génèrent des rendements plus faibles lorsque les taux d'intérêt baissent. Mais là encore, ce sont les taux d'intérêt à long terme qui sont déterminants.
Pour les banques, une courbe des taux raide est tout bénéfice. Les banques doivent payer moins d'"intérêts punitifs" lorsqu’elles logent leur argent auprès de la BCE et, dans le même temps, elles peuvent encore percevoir des intérêts plus élevés sur les prêts à long terme tels que les crédits logement. Cela peut avoir un effet de levier sur leur compte de résultat.
Les entreprises disposant de beaucoup de liquidités, comme Galapagos , Roularta ou Moury Construct , sont celles qui profitent le moins de la baisse des taux d'intérêt, car leur trésorerie rapporte moins. Il en va de même pour les investisseurs assis sur un matelas de cash. "Nous tablons sur des taux d'intérêt en baisse de 150 à 200 points de base d'ici à la fin de l'année prochaine. Le rendement offert actuellement sur les liquidités ne reviendront donc pas de sitôt", souligne Mark Haefele, chief investment officer chez UBS. "Les investisseurs qui détiennent des liquidités ou des fonds du marché monétaire, ou encore des dépôts à terme arrivant à échéance, devraient envisager de placer leurs liquidités dans un portefeuille d'obligations individuelles arrivant à échéance à des dates différentes, ou dans un mix d'actions et d'obligations."
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