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interview

Eric Monnet (Paris School of Economics): "Donald Trump pourrait utiliser l’arme des stablecoins"

Eric Monnet, directeur d'études à l'EHESS et professeur à la Paris School of Economics, estime qu'il sera intéressant de voir comme l'Europe réagira au crypto-mercantilisme du président américain, Donald Trump. ©AFP

Via les Gafam, les États-Unis pourraient faire en sorte de développer le paiement par des stablecoins. Une manière de préserver la domination du dollar, selon l'économiste Eric Monnet.

Eric Monnet a reçu en 2022 le prix du meilleur jeune économiste de France. À 41 ans, il est directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et professeur à l’École d’Économie de Paris (Paris School of Economics), où il enseigne l’histoire économique avec un certain Thomas Piketty. Il a été économiste à la Banque de France de 2013 à 2019 et a publié divers ouvrages, dont La Banque-providence (Seuil).

Il planche actuellement sur un ouvrage sur l’histoire des banques centrales depuis le 19e siècle. Il était de passage en Belgique afin de donner une conférence dans le cadre d’un cycle organisé par HEC-ULiège en l’honneur de l’ancien gouverneur de la Banque nationale de Belgique, Guy Quaden.

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"Je pense que l'administration américaine a anticipé l’émergence de forces qui vont jouer contre cette suprématie du dollar et des États-Unis."

Eric Monnet
Professeur à l’École d’Économie de Paris

Assiste-t-on aujourd’hui, avec Donald Trump, à un basculement de l'histoire économique? En matière monétaire, certains font le parallèle avec le président Richard Nixon, qui avait provoqué, en 1971, l'effondrement du système de Bretton Woods, en mettant fin à la convertibilité en or du dollar... 

Oui, on peut parler d’un changement ou basculement majeur lorsque le pays qui a été le leader du monde économique libéral et démocratique est en train de changer de voie. C’est vrai sur la question des droits de douane, mais aussi effectivement, et vous faites référence à Richard Nixon, sur la question du système monétaire international. Car la question est aujourd’hui de savoir si le dollar va rester la monnaie dominante internationale.

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Pour tenter de dresser le bilan d'une stratégie difficile à déchiffrer, Ondine Werres reçoit dans le studio du Brief deux fins connaisseurs des États-Unis: Frank Vranken, stratégiste en chef de la banque Edmond de Rothschild et Serge Jaumain, professeur d'histoire contemporaine à l'ULB et spécialiste de l'Amérique du Nord.

Présentation, écriture et réalisation: Ondine Werres

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Dans les faits, le dollar demeure encore la monnaie dominante aujourd'hui, mais je pense que l'administration américaine a anticipé l’émergence de forces qui vont jouer contre cette suprématie du dollar et des États-Unis. La manière des dirigeants américains d’y réagir est d'être très agressifs. C’est un peu comme si eux-mêmes ne croyaient plus dans le fait que le dollar puisse rester la monnaie dominante par des processus de marché. Il s’agit donc de faire en sorte que le dollar reste une monnaie dominante en l'imposant aux autres pays par des moyens de pression.

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Ce sont les idées du conseiller économique de Donald Trump, Stephen Miran, contenues dans un rapport qu’il avait publié en novembre dernier...   

Effectivement, mais il y a deux doctrines qu'on voit un peu coexister au sein de l'administration américaine. Il y a d’abord celle de Stephen Miran. Les USA veulent afficher un surplus de la balance commerciale. Mais la seule manière, selon Miran, pour que le dollar reste dominant dans ce cadre, c'est de forcer les autres pays à détenir des dollars en faisant pression sur eux, notamment avec les droits de douane ou le chantage à l’aide militaire. Il s’agit vraiment d’une rupture totale, parce que ce n’est pas de cette manière que le dollar est devenu une monnaie dominante.

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"On peut imaginer qu’Amazon, par exemple, inciterait ses clients à utiliser des stablecoins adossées au dollar en promettant 10% de réduction si on paie en stablecoin Amazon."

Eric Monnet
Professeur à l’École d’Économie de Paris

Et l’autre doctrine? 

C’est celle de Scott Bessent, le secrétaire d’État au Trésor. Le jour où Trump a parlé de créer une réserve en bitcoins, Bessent a dit, et c’est passé un peu plus inaperçu, qu’une autre manière de maintenir la domination du dollar, c'est via les stablecoins, ces monnaies numériques qui sont adossées à une monnaie comme le dollar.

Il part un peu du même constat que Miran en disant qu’une politique commerciale protectionniste entre en contradiction avec le fait de garder le dollar comme monnaie dominante. Mais plutôt que d'entrer dans un processus de coercition et de pression, il indique que les USA pourraient utiliser les grandes entreprises type Gafam pour faire en sorte de développer le paiement par des stablecoins adossées au dollar, y compris à l’international.

On peut ainsi imaginer qu’Amazon, par exemple, inciterait ses clients à utiliser des stablecoins adossées au dollar en promettant 10% de réduction si on paie en stablecoin Amazon. Et donc, quand les gens vont payer en stablecoin Amazon, il faudra convertir les euros dans la monnaie Amazon. La majorité des gens, sans forcément s'en rendre compte, convertiraient ainsi leurs euros en dollars.

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On peut imaginer la même chose avec Google ou Netflix. Cela permettrait, dans le même temps, de faire plaisir à tous les défenseurs des cryptomonnaies qui ont beaucoup soutenu Trump. La prochaine attaque des USA contre l’Europe pourrait ainsi passer par ces stablecoins. Il s’agirait de renforcer la domination du dollar dans les transactions internationales via les cryptos et les Gafam. C’est ce que j’appelle du crypto-mercantilisme.  Il sera intéressant de voir comment l’Europe pourra réagir.

"Le pire pour l’Europe, ce serait dans le contexte de la guerre commerciale de pratiquer le protectionnisme et de faire, en outre, de l’austérité budgétaire."

Eric Monnet
Professeur à l’École d’Économie de Paris

La BCE a annoncé lors de sa dernière réunion qu’elle voulait avancer rapidement sur le plan de l’euro numérique. C’est peut-être une riposte...

La solution qui a été retenue pour cet euro numérique est de ne pas trop faire concurrence aux banques privées. L’accès à ce portefeuille d’euros numériques se fera via des intermédiaires financiers, même si les fonds resteront bien des avoirs auprès de la BCE. Il y aura aussi une limite dans les montants déposés (le montant de 3.000 euros est évoqué, NDLR).

Dès lors, la question est de savoir si les gens vont utiliser ces euros numériques pour payer via leur smartphone plutôt que les autres moyens de paiement. Les gens vont-ils réellement faire la différence avec leur monnaie bancaire? Je pense que la BCE devra faire énormément de publicité pour promouvoir cet euro numérique.

La période actuelle marquée par le retour du protectionnisme peut-elle s'assimiler à ce que l'on a connu en 1929 avant la Grande dépression des années 1930?

Pour l'instant, ce n’est pas le cas, parce qu'il n'y a pas de crise bancaire. Dans les années 1930, c’est important de le noter, nous étions dans le contexte de l’étalon-or. Les pays avaient peur de faire de la relance économique parce que cela mettrait potentiellement en danger leurs réserves d’or. On a alors vu un cercle vicieux se mettre en place entre le protectionnisme commercial et l'austérité budgétaire.

Aujourd’hui, c’est important d’éviter un tel cercle vicieux. Le pire pour l’Europe, ce serait dans le contexte de la guerre commerciale de pratiquer le protectionnisme et de faire, en outre, de l’austérité budgétaire. Ce serait vraiment mortifère.

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"On imagine mal des banquiers centraux, au milieu d'un climat géopolitique très violent, décider de mettre un frein au financement de la guerre."

Etic Monnet
Professeur à l’École d’Économie de Paris

Face aux énormes dépenses en matière de défense, la BCE devra-t-elle d’une façon ou d’une autre financer les dépenses de guerre des États?

À l’image de ce qui s’est produit pendant la crise du covid, c’est possible. Si les pays européens émettent plus de dettes, la banque centrale les achètera sans doute. Ce qui serait plus compliqué, c’est si cela s’accompagne d’une forte hausse de l’inflation. Que ferait la Banque centrale européenne si jamais on arrive à 3 ou 4% d'inflation?

En fait, j'entrevois deux situations possibles. Soit les différents pays effectuent des souscriptions massives d'emprunts auprès de leurs propres citoyens et la BCE est moins dans l’obligation d’acheter la dette des États. Soit la banque centrale décide de laisser un peu filer l’inflation. On imagine mal des banquiers centraux, au milieu d'un climat géopolitique très violent, décider de mettre un frein au financement de la guerre. J'en serais en tout cas très étonné.

Dans votre livre "La Banque-providence", vous indiquez qu’il faut démocratiser la BCE. Que voulez-vous dire?

La BCE poursuit l’objectif de stabilité des prix, mais elle doit aussi soutenir les politiques de l'Union européenne. La question est de savoir quelles sont ces politiques européennes et où il s’agit de placer le curseur. Aujourd’hui, la BCE est un peu seule à effectuer ces arbitrages. Quand on est face à des problèmes importants, comme la question du taux de change de l’euro face au dollar ou la question du financement de la guerre, il est important que les autorités européennes soient consultées.

J’évoque l’idée d’un Conseil européen du crédit, rattaché au Parlement européen, qui pourrait mieux coordonner les politiques et évoquer les objectifs de l'Union européenne que la BCE doit avoir en tête quand elle prend ses décisions. Ce n’est pas, et j’insiste sur ce point, une rupture de l’indépendance de la banque centrale. La BCE ne devra pas forcément suivre ce qui est proposé. Mais ce serait au moins l’occasion d’avoir un débat plus équilibré avec la banque centrale.

Les phrases clés
  • "L'administration américaine a anticipé l’émergence de forces qui vont jouer contre la suprématie du dollar et des États-Unis. La manière des dirigeants américains d’y réagir est d'être très agressifs."
  • "La prochaine attaque des USA contre l’Europe pourrait passer par les stablecoins. Il s’agirait de renforcer la domination du dollar dans les transactions internationales via les cryptos et les Gafam. C’est ce que j’appelle du crypto-mercantilisme."
  • "Le pire pour l’Europe, ce serait, dans le contexte de la guerre commerciale, de pratiquer le protectionnisme et de faire, en outre, de l’austérité budgétaire. Ce serait vraiment mortifère."
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