5 questions pour comprendre les tensions entre la SNCB et Infrabel
De gros travaux sont prévus sur le rail à l'automne au sud de la gare du Midi. Avec un impact important pour les voyageurs. Une question de sécurité, mais aussi, en coulisse, le symbole de la différence de vision qu’Infrabel entretient avec son principal client, la SNCB.
Chez Infrabel, le gestionnaire du réseau ferroviaire belge, on regrette amèrement "cette fuite", parue dans L’Echo mardi, au sujet d’importants travaux sur les équipements situés au sud de la gare Bruxelles-Midi qui auraient de quoi causer de sérieuses perturbations sur la jonction Nord-Midi de la mi-octobre à la mi-novembre. Frédéric Sacré, porte-parole d’Infrabel évoque: "Une communication était prévue prochainement, une fois l’impact exact des travaux connu." Quels trains devront être supprimés, quels autres déviés ou rallongés? Depuis fin 2018, un groupe de travail SNCB-Infrabel planche sur ces questions, ces travaux se terminent et l’objectif était de communiquer bientôt de façon ordonnée, pour que le client sache précisément à quoi s’en tenir. On aurait préféré communiquer clairement vers le client, le moment venu."
1. De quels travaux parle-t-on?
Si on ne fait pas ces travaux, il n’y aura plus de trains, c’est aussi simple que cela.
Mais voilà, les intentions circulent désormais. De quoi en retourne-t-il? En bref, de moderniser les équipements permettant aux trains de circuler, au sud de la gare du Midi: feux de signalisation, systèmes de détection des trains, dispositifs actionnant les aiguillages. "Ces équipements électromécaniques ont plus de 50 ans, il faut les remplacer par de nouveaux systèmes informatisés." Au total, il y a 180 outils à remplacer sur quelques centaines de mètres au sud des quais de la gare à la desserte internationale. Pas le choix, "c’est une question de sécurité, insiste Infrabel. Si on ne fait pas ces travaux, les problèmes de fiabilité vont augmenter, ce que personne ne souhaite. Mais pire encore, si on ne fait pas ces travaux, il n’y aura plus de trains, c’est aussi simple que cela".
2. Avec quel impact à quel moment?
Côté timing, on parle chez le gestionnaire d’une période allant du 14 au 31 octobre et pendant la semaine du 4 au 8 novembre: 58 trains par jour devraient être supprimés, essentiellement aux heures de pointe. Infrabel travaille actuellement à réduire ce nombre, par exemple en déviant des trains sur les gares à l’Est et à l’Ouest de Bruxelles (Meiser, Bordet, Simonis, gare de l’Ouest) de la jonction concernée. Pendant les deux longs week-ends des 1er et 11 novembre, 300 personnes travailleront 24h/24 à remplacer les équipements, nous dit-on. Coupure complète pendant ces 6 jours, aucun train ne passera sur le tronçon en travaux, au sud de la gare du Midi. Celle-ci sera donc un cul-de-sac pour le trafic venant du Nord. Des alternatives (trains déviés, via les lignes 26 et 28, à l’Est et à l’Ouest) seront mises en place.
Selon Infrabel, "il est donc faux d’affirmer aujourd’hui que, pendant un mois, des dizaines de milliers de navetteurs n’auront pas de train ou que les trains P seront supprimés" – la SNCB parlait pourtant, de son côté, de quelque 104 trains P menacés de suppression, transportant en moyenne pas moins de 68.000 voyageurs par jour. Le gestionnaire du réseau dit chercher encore des solutions pour réduire l’impact mais, à ce stade, seuls 58 trains seront supprimés pendant les 19 jours ouvrables de ce chantier, soit 1.102 trains, affirme-t-il. Pour mettre en perspective ce nombre, ce sont quelque 1.200 trains qui empruntent chaque jour la jonction Nord-Midi, ligne ferroviaire la plus utilisée de Belgique et l’un des tunnels ferroviaires les plus utilisés du monde.
3. Pourquoi avoir décidé de les réaliser à ce moment-là?
Se pose alors la question du timing. Est-ce une bonne idée de mener des travaux d’une ampleur et d’un tel impact après l’été, quand la machine économique est censée tourner à plein régime et que tout le monde rentre de vacances? "Il n’y a pas de bon moment, répond-on chez Infrabel. Mais c’est un choix: pendant l’été, il y a les trains vers la Côte et vers les festivals, on a choisi une période moins dense, qui comprend les congés de Toussaint, précisément pour peser le moins possible sur le trafic et sur le client."
4. Pourquoi cette fuite dans la presse?
Une vision développée a posteriori, après une autre fuite, samedi dans nos pages, au sujet d’un audit qui chiffre à 82 millions d’euros par an le montant des investissements nécessaires pour maintenir en bon état l’infrastructure ferroviaire en Belgique – si l’État en prive Infrabel, le gestionnaire du réseau menace de fermer en Wallonie de nombreuses petites lignes de chemin de fer. "Ces éléments de nécessité de financement ne sont pas nouveaux. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne sont pas d’actualité pour autant. Se pose alors une vraie question: Infrabel a-t-il véritablement l’intention de supprimer les lignes évoquées (au nombre de 13 lignes, amenant le ministre fédéral de mobilité Bellot à affirmer durant le week-end qu’Infrabel ne peut légalement fermer aucune ligne, de même que le ministre-président wallon Willy Borsus à marteler sa ferme opposition au projet, NDLR)? Cette fuite ressemble quand même fort à un appel du pied destiné à souligner la nécessité d’obtenir des moyens supplémentaires, garants de l’entretien futur des infrastructures ferroviaires existantes", analyse la députée fédérale Vanessa Matz (cdH).
On a choisi une période moins dense, qui comprend les congés de Toussaint, précisément pour peser le moins possible sur le trafic et sur le client.
Mais "il ne faut pas jeter la pierre à Infrabel de jouer à ce jeu-là. C’est le politique qui est en tort, ayant manqué le coche de développer une vraie vision ferroviaire sur le long terme, et ce, alors même que la pression de l’urgence climatique se fait sentir dans son dos. Une vision d’autant nécessaire que la libéralisation du rail se profile (notamment, la SNCB ne sera dès lors plus seule à pouvoir exploiter le réseau ferroviaire, NDLR), à l’horizon 2023. Certes, le groupe SNCB a sollicité une sorte de dérogation auprès de l’État, on parle d’une attribution directe de mission de service public, pour continuer à gérer le rail belge durant une période transitoire de dix ans et donc de temporiser, mais, il n’a toujours pas obtenu de réponse de l’exécutif". Et certains de souligner des dissensions au sein du gouvernement fédéral sur la question, les formations plus libérales arguant que plus de concurrence amènera à plus d’efficacité, une vision que d’autres ne partagent pas. Résultat, la SNCB ne sait pas aujourd’hui s’il doit se préparer à un changement de taille se profilant très vite ou bien à un horizon plus lointain, ce qui n’aura, évidemment, pas les mêmes conséquences sur son activité.
5. Une relation tendue entre la SNCB et Infrabel?
En coulisse, ce qui se joue aussi est une relation "à couteaux tirés", "conflictuelle", entre Infrabel et SNCB, nous dit-on à diverses sources. Et pour cause, "alors que le gestionnaire du réseau ferroviaire appelle de manière générale à une suppression de lignes en vue de favoriser le transport de masse – via des trains remplis sur des connexions principales entre grandes villes (Liège-Bruxelles, Anvers-Bruxelles…) –, l’entreprise ferroviaire de transport de personnes et marchandises tend, elle, à vouloir augmenter la fréquence des trains et adapter les horaires, dans une vision de qualité de service partout sur le territoire (dans certaines régions, le train constitue la seule alternative à la voiture)", tacle la Liégeoise. Antagonisme, dites-vous? "Le problème, c’est qu’Infrabel et SNCB ne se parlent pas. Et ont en sus des visions diamétralement opposés." Alors même qu’"il faut de la souplesse de part et d’autre, du dialogue". Pour la question de ces fameux travaux sur les lignes, "la seule réponse ne peut pas être de dire aux gens de rester chez eux et de télétravailler. ça ne marche pas comme ça".
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