Une future hausse des taux signera-t-elle le retour en grâce des banques européennes? La question est sur toutes les lèvres, compte tenu de leurs piètres performances depuis la crise financière de 2008. Les valeurs bancaires ont perdu 67,96% en dix ans, contre un gain de 6,72% pour le Stoxx Europe 600. La crise de la dette souveraine est bien sûr passée par là, mais le secteur, en pleine période de transition, souffre également de l’environnement actuel des taux bas, qui ronge son chiffre d’affaires.
"Les banques européennes continuent à offrir une image d’ensemble mitigée, avec une croissance anémique des revenus, compensée par des améliorations du capital et la promesse d’alléger la pression sur les prêts non-performants", résument les analystes de Bloomberg Intelligence. Digitalisation, concurrence accrue avec l’arrivée des fintechs, augmentation des fonds propres due à une réglementation plus stricte, etc. Face à ces difficultés, une hausse des taux à court terme pourrait leur mettre un peu de baume au cœur.
La Banque centrale européenne (BCE) s’est elle-même penchée cette problématique il y a quelques mois. Dans un rapport publié début octobre 2017, elle a conclu que des taux d’intérêt plus élevés entraîneraient une hausse des marges nettes d’intérêt au cours des trois prochaines années, mais également une baisse de la valeur économique des fonds propres des banques. Dans 57% des cas, plus précisément. Quelque 20% des banques suivies par la BCE pourraient même connaître un repli des deux côtés, principalement en raison de la longue duration de certains actifs (par exemple, les hypothèques à taux fixe). Mais aucun groupe n’est nommé dans le rapport.
L’institution de Francfort s’est par ailleurs intéressée aux modèles comportementaux utilisés par les banques pour mesurer et gérer leur risque de taux d’intérêt. Il en est ressorti que la plupart des modèles relatifs aux dépôts se fondaient uniquement sur une période de baisse des taux. Par conséquent, ils peuvent comporter "un risque intrinsèque élevé".
Bulletin correct pour les belges
Et chez nous? Selon un rapport de Moody’s publié en novembre, les banques belges se portent plutôt bien, grâce à l’amélioration progressive de la conjoncture économique et au recul du chômage. Mais compte tenu de l’environnement actuel de taux bas, l’agence de notation s’attend à ce que leurs marges nettes d’intérêt s’érodent et que leur revenu net d’intérêt, qui représentait plus de deux tiers de leur chiffre d’affaires en 2016, diminue dans les 12 à 18 mois.
Conseil
L’évolution des taux d’intérêt impacte tant les revenus d’intérêts perçus sur les instruments financiers (comme des obligations), que la valeur marchande de l’instrument lui-même.
Des perspectives confirmées par le CEO de KBC. Lors de la présentation des derniers résultats de la banque, Johan Thijs a indiqué que la faiblesse des taux commence à peser sur le groupe. Les revenus nets d’intérêt de KBC ont reculé de 2% au troisième trimestre, par rapport à la même période en 2016, tandis que la marge nette d’intérêt est de 1,83%, en baisse de 7 points de base en glissement annuel. Johan Thijs prévoit que la situation ne va guère s’améliorer en 2018.
"La croissance des revenus, voire leur stabilité, sera le plus grand défi pour KBC, contrebalançant une perspective positive sur les coûts, la qualité du crédit et le capital", soulignent les analystes de Bloomberg Intelligence. Pour eux, la stratégie de KBC de se focaliser sur des acquisitions en Europe centrale et orientale, afin de stimuler la croissance, doit à présent porter ses fruits. "Sans cela, une troisième année d’érosion des marges en Belgique, sans catalyseur à court terme pour stimuler la reprise, suggère que la croissance des revenus restera difficile en 2018."
Bien au-dessus des exigences
Tout n’est pas noir pour autant. Comme l’explique Marco Miserez, de Candriam, KBC est "l’une des banques les mieux capitalisées et les mieux gérées en Europe. À la différence d’autres banques qui sont basées uniquement en Belgique, KBC a pas mal d’exposition sur les pays d’Europe de l’Est, où les taux d’intérêt sont un peu plus élevés. Cela lui permet de compenser. Au lieu d’avoir un revenu net d’intérêt en déclin, elle arrive à le garder stable. Ce qui est déjà bien dans un environnement de taux bas". Ce gestionnaire de fonds pointe également la bonne croissance des prêts dans les pays où KBC est établie.
Côté réglementation, le groupe remplit amplement les exigences de la BCE et de la Banque nationale de Belgique (BNB) en matière de capital. À la clôture du troisième trimestre 2017, le ratio CET1 à pleine charge de KBC s’inscrivait à 15,9%, soit nettement plus que demandé par la BCE (10,6%).
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C’est le cas également pour ING. Au 30 septembre, son ratio CET1 était de 14,5%, contre 10,4% exigé par la BCE pour 2018. Mais à la différence de sa concurrente KBC, la banque néerlandaise semble mieux résister à l’environnement de taux bas. Ses revenus nets d’intérêt ont progressé de 3,1% au troisième trimestre 2017. Elle a ainsi dégagé un revenu sous-jacent total de 4,408 milliards d’euros, en hausse de 1% mais inférieur aux attentes.
"Au cours des dernières années, ING s’est forgé une solide réputation en matière de réalisation de ses objectifs de croissance des prêts et des bénéfices, mais la surperformance par rapport à ses pairs pourrait prendre fin. Le groupe doit ajouter une discipline de coûts à sa gamme d’attributs clés, ce qui n’est pas une mince affaire, puisqu’il continue à investir dans des initiatives de numérisation et à élargir sa franchise", expliquent les analystes de Bloomberg Intelligence.
Valorisations élevées
À l’instar des autres banques européennes, ING est en pleine période de transition. La banque a annoncé en 2015 la suppression de plusieurs milliers d’emplois et la fermeture de son réseau d’agences. "Toutes les banques doivent travailler sur les coûts, puisque leurs revenus sont sous pression. Il y a aussi les provisions. Pour le moment, on reste dans un scénario de ciel bleu, en tout cas sur le Benelux. Ici, les banques ont été plus strictes dans le fait d’accorder des prêts", note Christian Solé, Head of Financial chez Candriam.
Ce qui lui fait dire que les investisseurs payent actuellement des valorisations de haut de cycle, avec des risques sur les revenus et les provisions. "Nous sommes plutôt prudents sur les financières", confirme-t-il. En d’autres termes, le secteur des banques ET de l’assurance. Car les assureurs, en particulier ceux qui ont des portefeuilles d’assurance-vie, souffrent également des taux bas. Ainsi, la faiblesse de l’économie et des taux d’intérêt a pesé sur les primes d’Ageas, rendant difficile la vente de produits d’épargne garantie, compte tenu de la concurrence des offres alternatives et des faibles rendements. Le bénéfice net du segment Vie a ainsi reculé de 24% sur les neufs premiers mois de 2017.
On notera cependant une plus forte résilience du secteur de l’assurance en Bourse. Celui-ci a progressé de 14,32% depuis la crise de 2008. Une surperformance par rapport aux banques qu’Arnaud Delaunay, analyste chez Leleux Associated Brokers, explique par une meilleure "flexibilité". "Les assureurs ont les mêmes problématiques que le secteur bancaire, mais ils sont plus flexibles sur les contrats d’assurance court terme (automobile, habitation). (…) Au niveau de la réglementation, l’assurance a également été moins touchée que le secteur bancaire". Mais au final, cette surperformance a entraîné une hausse des valorisations qui rend les analystes frileux.