Les assureurs peuvent-ils utiliser les données issues d’objets connectés?
C’est à cette question que tente de répondre une loi du 10 décembre 2020, entrée en vigueur le 25 janvier 2021.
L’utilisation d’objets connectés (smartphones, smartwatches…) mesurant notre style de vie (sommeil, activité physique…) et de santé (rythme cardiaque, oxygénation…) est croissante. L’intérêt de ces objets pour les utilisateurs et pour le secteur médical est évident. De façon moins flagrante, ces objets sont aussi une source potentielle d’information pour les assureurs. Le législateur belge a souhaité anticiper les dérives d’une telle utilisation et ce, à deux niveaux.
L’enjeu des données personnelles
Les assureurs doivent évaluer les risques qui leurs sont soumis afin de pouvoir décider s’ils acceptent de les couvrir et le cas échéant à quel tarif. Pour les assureurs vie et santé, cette nécessité justifie qu’ils interrogent leurs assurés sur leur état de santé et procèdent parfois à un examen médical.
L’utilisation de données récoltées par des objets connectés permettraient aux assureurs d’aller beaucoup plus loin, en contrôlant potentiellement en continu les paramètres santé de leurs assurés.
L’utilisation de données récoltées par des objets connectés permettraient aux assureurs d’aller beaucoup plus loin, en contrôlant potentiellement en continu les paramètres santé de leurs assurés.
Le législateur a voulu éviter de possibles excès. La proposition de loi initialement déposée au Parlement interdisait ainsi totalement aux assureurs de traiter les données de santé récoltées par des objets connectés.
Cette interdiction n’a toutefois pas survécu aux débats parlementaires. Dans sa mouture finale, la loi prévoit simplement que les assureurs vie et santé ne peuvent ni refuser un assuré, ni lui imposer un niveau de prime différent au seul motif qu’il refuse d’utiliser un objet connecté.
Il s’agit d’une limitation importante et qui rendra difficile aux assureurs de proposer des modèles tarifaires avantageux aux assurés prêts à les laisser contrôler leurs paramètres de santé, l’incitant financier à l’égard du client étant exclu. L’intérêt de cette limitation doit toutefois être nuancé. En pratique, elle n’apporte que peu ou pas de protection supplémentaire aux garanties offertes par la réglementation européenne existante (en particulier le RGPD).
L’enjeu de la solidarité
L’évaluation des risques qui leur sont soumis permet aux assureurs de diviser les candidats en catégories. Il y a évidemment les candidats qui sont trop risqués pour être assurés, ce qui en matière d’assurance santé peut donner lieu à des situations très délicates comme l’impossibilité pour une personne atteinte d’une maladie rare de trouver une assurance santé. Il y a ensuite, au sein des assurés acceptés, diverses catégories associées à différents niveaux de risques et de primes – toutes choses étant égales par ailleurs, un fumeur paiera son assurance solde restant dû plus cher qu’un non-fumeur. Cette division des assurés en catégories s’appelle la segmentation.
"Pay as you drive"
Elle est essentielle au métier de l’assurance et lui permet de se distinguer de la spéculation. En pratique, les assureurs affinent leurs catégories jusqu’à un certain stade. Par exemple, un assureur sait qu’un assuré a tel âge, eu tel accident et ne fume pas mais il ne sait pas à quel rythme bat son cœur ni s’il a une vie active ou oisive. En un sens, la segmentation reste donc relativement grossière, ce qui conduit à une certaine solidarité entre les assurés; statistiquement, les assurés présentant individuellement moins de risques financent la garantie de ceux qui en présentent plus.
L’utilisation des données récoltées par des objets connectés pourrait mener à une plus grande individualisation de l’assurance. Une sorte de "pay as you drive" de l’assurance vie et santé.
Cette mutualisation des risques est un rôle social essentiel des assureurs vie et santé. L’utilisation des données récoltées par des objets connectés pourrait modifier ce paradigme pour une plus grande individualisation de l’assurance. Une sorte de "pay as you drive" de l’assurance vie et santé.
Le législateur a voulu prévenir ce risque et la loi de décembre 2020, entrée en vigueur le 25 janvier 2021, interdit aux assureurs vie et santé d’effectuer de la segmentation sur la base de la condition que l’assuré accepte d'utiliser un objet connecté qui récolte des données sur son mode de vie ou sa santé.
Cette initiative législative belge rappelle utilement le rôle en partie social de l’assurance vie et santé et tente de le préserver.
Thomas Derval
Avocat Simont | Braun
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